Page:Encyclopédie méthodique - Architecture, T3.djvu/359

Cette page n’a pas encore été corrigée
SCA SCA 351


rement sont-elles le résultat d’un projet conçu tout ensemble, et par un seul. Scamozzi proposa et sit agréer un nouveau projet qui embrassoit la totalité de la place Saint-Marc, raccordée au bâtiment de la bibliothèque, sur la place du palais, et à l’église de San Geminiano, enfin mise en accord par les lignes avec la façade de SaintMarc. Il fit un modele en bois de tous ces corps de bâtimens, et eut l’art de le faire approuver par le doge Grimani et les procurateurs. Alors prit naissance le grand édifice des Procuratie nuove, en face et en pendant de celui dont on a parlé.

Il arriva toutefois dans cette occasion, ce qui survient aux entreprises conçues et exécutées en des temps et par des artistes divers. La régularité et la symétrie de la place Saint-Marc auroient exigé que l’aile de bâtiment destinée à être mise en regard de celle qui existoit déjà, lui fût tout-à-fait semblable. Cependant déjà Sansovino, dans l’architecture l’édifice de là Bibliothèque, sur la place du palais, avoit adopté une élévation, d’une toute autre ordonnance que celle des Procuratie vechie. Dans l’intention de rachever selon le même goût la place Saint-Marc, il s’étoit contenté de se raccorder avec l’édifice de Buono et de Lombardi seulement par la hauteur. Au lieu de trois étapes, il n’en faisoit que deux, et c’étoit par la hauteur du couronnement de son second ordre, qu’il regagnoit la dimension nécessaire à la symétrie de l’ensemble.

Sansovino mort, Scamozzi ne tint aucun compte des intentions de son prédécesseur. Il prétendit que deux étages ne suffiroient pas au besoin de faire dans ce bâtiment, neuf habitations pour les procurateurs qui dévoient y être logés, et il prit le parti de l’élever d’un troisième ordre. On a sait de cela un grand sujet de reproche à Scamozzi. Il est très-vrai que cette grande aile, qui est l’aile gauche de la place Saint-Marc, n’a d’autre rapport avec celle qui lui fait face, que les portiques ouverts du rez-de-chaussée, et d’avoir comme elle trois étages. Mais elle en diffère par un surcroît d’élévation et par le genre de ses ordonnances. Elle a encore l’inconvénient dêtre plus haute que le corps de bâtiment qui lui fait suite, sur la place du palais, et celui où se trouve San Geminiano. Que résulte-t-il de cela ? qu’il arriva à Scamozzi de faire ce qu’avoit déjà fait Sausovino, c’est-à-dire de faire du nouveau.

Du reste, il nous semble que la place de SaintMarc auroit été beaucoup plus belle si elle eût pu être entièrement selon le projet de Scamozzi. Maintenant si l’on considère en lui-même, et en lui seul, le vaste édifice des Proçuratie nuove, on doit avouer que c’est un des plus grands et des plus beaux monumens qu’il y ait d’architecture civile. Scamozzi y a employé les trois ordres d’architecture dans les meilleures proportions, avec le plus de régularité, de justesse, de goût et de


richesse, que puisse comporter leur disposition adaptée à des piédroits, à des arcades et aux ouvertures des fenêtres.

Le premier rang de portiques sormant rez-de-chaussée, est orné de colonnes d’ordre dorique. Les archivoltes ont des figures sculptées ; la clef de chaque arcade est un mascaron en relief. La srise a ses métopes remplies de symboles variés. Audessus de sa corniche s’élève un stylobate coupé par les balcons en balustres à double renflement des fenêtres de l’étage du milieu, lesquelles consistent aussi en arcades, mais d’une moindre ouverture que celles d’en bas. L’ordonnance de cet étage est ionique, et offre une progression sensible de richesse et d’élégance. Indépendamment de l’orde ionique adossé aux piédroits des arcades, avec archivoltes remplies de figures sculptées de bas-relief, des colonnes du même ordre, mais plus petites, soutiennent l’imposte des arcades. La frise du grand ordre est ornée d’un enroulement continu. Le troisième étage se compose d’un ordre corinthien qui orne les trumeaux des fenêtres, lesquelles sont surmontées de srontons alternati- vement angulaires et circulaires, et accompagnées de petites colonnes également corinthiennes ; le grand ordre supporte le riche entablement qui règne sur toute l’étendue de cette masse.

Le troisième etage dont on vient d’abréger la description, est celui dont on fait, avons-nous déjà dit, un reproche à Scamozzi, comme établissant une irrégularité de mesure en hauteur, avec celui du corps de bâtiment qui lui est opposé dans la place Saint-Marc. Toutefois il n’est aucun critique qui ne convienne, que cet étage est le plus beau de tous, cl on peut le dire aujourd’hui, le plus riche, le plus noble, le mieux ordonné qu’on puisse citer dans quelque édifice que ce soit. On a déjà vu que la place Saint-Marc, résultat de travaux et d’artistes successifs, ne fut jamais projetée dans un ensemble uniforme. L’irrégularité seule de son plan, dont aucunes lignes ne se correspondent, montre qu’il ne faut pas juger de cet ensemble, comme d’une création dont l’unité seroit la première obligation. Qui sait même s’il n’étoit pas entré dans les intentions de Scamozzi, et de ceux qui approuvèrent son projet de remplacer l’architecture des Procuraties vieilles par celle des nouvelles ? Quoi qu’il en soit, en se bornant à la critique partielle de l’ouvrage de Scamozzi, on peut affirmer qu’il a élevé là un des plus parfaits modèles d’architecture ; qu’il n’existoit avant, et qu’il n’a été produit depuis aucun corps d’édifice plus complet dans ses ordonnances, plus classique dans ses détails, mieux terminé dans toutes ses parties, plus simple et plus varié tout à la fois ; ajoutons que c’est un des plus étendus que l’on connoisse. Il a été donné à peu d’architectes de construire un palais à trois ordres l’un sur l’autre, et dont la devanture se compose de trente-neuf arcades ou