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ville et de campagne de plus nombreuses occasions, des motifs mieux en rapport avec ce degré de grandeur sans ostentation, de richesse sans trop de pompe, qui convient aux familles patriciennes. C’est encore dans le gouvernement aristocratique, que ces familles distinguées ont le plus d’intérêt à perpétuer leur existence ; et les palais auxquels s’attache leur nom, deviennent tout naturellement les monumens les plus conformes à celte honorable ambition. On ne sauroit dire ce que, dans toute l’Italie, l’architecture moderne a dû au principe politique dont on vient de retracer l’influence ; et peut-être les changemens survenus dans les idées et les mœurs des temps modernes, suffisent-ils pour nous rendre compte de l’etat de pénurie et de mesquinerie où l’architecture se trouve aujourd’hui partout réduite.

Venise, entre tous les Etats de l’Italie, est peut-être celui, où se montrent avec le plus d’évidence les effets du principe politique de l’aristocratie, dans leur rapport avec l’architecture. Sanmicheli y a laissé, dans plus d’an palais, des monumens de son talent, et de ce goût d’architecture appliqué aux habitations, dont il semble y avoir donné les premiers modèles, si bien imités depuis, et peut-être surpassés par Palladio, (Voyez ce nom. ) Tels sont les deux palais qu’il fit pour la famille des Cortari, l’un à Piombino, l’autre dans Venise même, près l’église de Saint-Paul ; tel le palais de la maison de Bregadini, qu’il restaura, et dont il embellit tous les intérieurs.

Mais on s’accorde à mettre au premier rang de ses ouvrages le palais Grimani à Venise, un des plus magnifiques de cette ville. La dépense de sa construction fut prodigieuse ; il est situé sur le grand canal, près de l’église de Saint-Luc, et c’est undes monuments les plus remarquables, entre tons ceux dont l’architecture a décoré les deux rives de ce canal, qui est, en quelque sorte la grande rue d’une ville bâtie, comme par enchantement, au milieu des eaux de la mer. Sanmicheli eut encore le malheur de ne pouvoir terminer cette grande entreprise ; la mort le surprit au milieu de sa construction, et là comme dans plus d’une autre occasion, il arriva que les continuateurs, par la manie d’améliorer, altérèrent le projet qu’ils auroient dû respecter.

Sanmicheli, comme on doit le penser, ne put satisfaire à ses innombrables entreprises, sans l’aide de quelque coopérateur habile et intelligent. Il fut assez heureux pour trouver cette ressource dans un élève, qui etoit son neveu, nommé Jean-Jérôme, sujet distingué, qui, s’étant livré surtout aux travaux des fortifications, lui fut de la plus grande utilité, le suppléa dans beaucoup d’entreprises, et sur lequel il pouvoit se reposer avec confiance, de tous les soins et détails pratiques de la construction. Jean-Jérôme est cité


comme ayant, non-seulement pris part aux grands travaux militaires deSanmicheli, mais comme seul auteur, lui-même, de plusieurs de ceux qu’on lui attribue. Son mérite personnel fut tellement reconnu, que le gouvernement vénitien lui assigna un traitement égal à celui de son oncle, et sa réputation s’étoit accrue an point qu’on le jugeoit même supérieur à lui, dans certaines parties de la construction militaire. Nul alors ne l’égaloit dans l’art de lever les terrains, de dresser les plans, de faire les modèles en relief, nonseulement des constructions, mail des sites même où l’on devoit bâtir.

Sanmicheli jouissoit, avec une extrême satisfaction, des succès d’un neveu dont la réputation rejaillissoit sur celui qui l’avoit formé, et dont la rave activité lui permettoit le repos dont sa vieillesse avoit besoin ; cependant il eut le malheur de le perdre. Jean-Jérôme avoit été envoyé dans l’ile de Chypre, pour en visiter les fortification. Les fatigues qu’il eut à essuyer, et les grandes chaleurs de l’été, lui causèrent une fièvre pernicieuse, qui l’enleva en huit jours, à l’âge de quarante-cinq ans.

Cette mort fut très-sensible au Sénat. Elle lui enlevoit un sujet que personne ne pouvoit dignement remplacer. Mais la plus grande douleur fut celle de Sanmicheli qui perdoit dans ce neveu son soutien, et la dernière espérance de sa famille. Malgré les efforts qu’il fit pour vaincre ou cacher sa douleur, et peut-être par ses efforts même, il fut en peu de jours attaqué de la maladie qui le mit, au tombeau. Son corps fut porté dans l’église de Saint-Thomas, dont il avoit donné le modèle.

Sanmicheli fut de ce petit nombre d’hommes, chez lesquels les qualités du caractère et du cœur se trouvèrent à légal des dons de l’esprit et de l’imagination. Son humeur étoit grava, mais toutefois mêlée d’enjouement. Religieux par principe et par inclination, il n’entreprenoit aucun ouvrage sans faire chanter une messe solennelle, pour invoquer à son appui l’assistance d’en haut. Généreux et obligeant sans mesure, ses amis disposoient de sa fortune comme lui-même. Irreprochable dans ses mœurs, il mena une vie constamment exemplaire, et Vasari raconte, que tourmenté par le souvenir d’une liaison, que dans sa jeunesse il avoit eue à Monte-Fiascone, avec la femme d’un tailleur de marbre, dont il avoit obtenu les faveurs, et sachant que cette femme, devenue pauvre, avoit une fille dont il auroit pu être le père, il lui envoya 50 écus d’or pour la marier. La mère eut beau le dissuader et lever tous ses soupçons à cet égard, illa sorça de garder la somme. La république de Venise voulut plus d’une fois le combler de faveurs, mais il conjura le Sénat de les reporter sur ses neveux. Ses qualités morales le firent chérir, autant que ses talens le firent admirer de tous ses contemporains, et Michel Ange ne prononçoit son nom qu’avec vénération.