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que, si l’on avait l’air de le laisser tranquille, c’était afin de tramer dans l’ombre les plus noirs complots. Ses inquiétudes avaient même grandi, il s’attendait chaque jour à une catastrophe, ses papiers engloutis au fond d’un brusque abîme qui se creuserait, toute la Souleiade rasée, emportée, volant en miettes. La persécution contre sa pensée, contre sa vie morale et intellectuelle, en se dissimulant ainsi, devenait énervante, intolérable, à ce point qu’il se couchait, le soir, avec la fièvre. Souvent, il tressaillait, se retournait vivement, croyant qu’il allait surprendre l’ennemi derrière son dos, à l’œuvre pour quelque traîtrise ; et il n’y avait personne, rien que son propre frisson, dans l’ombre. D’autres fois, pris d’un soupçon, il restait aux aguets pendant des heures, caché derrière ses persiennes, ou encore embusqué au fond d’un couloir ; mais pas une âme ne bougeait, il n’entendait que les violents battements de ses tempes. Il en demeurait éperdu, ne se mettait plus au lit sans avoir visité chaque pièce, ne dormait plus, réveillé au moindre bruit, haletant, prêt à se défendre.

Et ce qui augmentait la souffrance de Pascal, c’était cette idée constante, grandissante, que la blessure lui était faite par la seule créature qu’il aimât au monde, cette Clotilde adorée, qu’il regardait croître en beauté et en charme depuis vingt ans, dont la vie jusque-là s’était épanouie comme une floraison, parfumant la sienne. Elle, mon Dieu ! qui emplissait son cœur d’une tendresse totale, qu’il n’avait jamais analysée ! elle qui était devenue sa joie, son courage, son espérance, toute une jeunesse nouvelle où il se sentait revivre ! Quand elle passait, avec son cou délicat, si rond, si frais, il était rafraîchi, baigné de santé et d’allégresse, ainsi qu’à un retour du printemps. Son existence entière, d’ailleurs, expliquait cette possession, l’envahissement de son être