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mois, dans un de ces cas de fécondité pullulante qui ne laissent pas aux mères le temps d’allaiter leurs petits.

— Certes, oui, reprit-il à demi-voix, les races dégénèrent. Il y a là un véritable épuisement, une rapide déchéance, comme si les nôtres, dans leur fureur de jouissance, dans la satisfaction gloutonne de leurs appétits, avaient brûlé trop vite. Louiset mort au berceau ; Jacques-Louis, à demi imbécile, emporté par une maladie nerveuse ; Victor retourné à l’état sauvage, galopant on ne sait au fond de quelles ténèbres ; notre pauvre Charles, si beau et si frêle : ce sont là les rameaux derniers de l’Arbre, les dernières tiges pâles où la sève puissante des grosses branches ne semble pas pouvoir monter. Le ver était dans le tronc, il est à présent dans le fruit et le dévore… Mais il ne faut jamais désespérer, les familles sont l’éternel devenir. Elles plongent, au-delà de l’ancêtre commun, à travers les couches insondables des races qui ont vécu, jusqu’au premier être ; et elles pousseront sans fin, elles s’étaleront, se ramifieront à l’infini, au fond des âges futurs… Regarde notre Arbre : il ne compte que cinq générations, il n’a pas même l’importance d’un brin d’herbe, au milieu de la forêt humaine, colossale et noire, dont les peuples sont les grands chênes séculaires. Seulement, songe à ses racines immenses qui tiennent tout le sol, songe à l’épanouissement continu de ses feuilles hautes qui se mêlent aux autres feuilles, à la mer sans cesse roulante des cimes, sous l’éternel souffle fécondant de la vie… Eh bien ! l’espoir est là, dans la reconstitution journalière de la race par le sang nouveau qui lui vient du dehors. Chaque mariage apporte d’autres éléments, bons ou mauvais, dont l’effet est quand même d’empêcher la dégénérescence mathématique et progressive. Les brèches sont réparées, les tares s’effacent, un équilibre fatal se rétablit au bout de quelques générations, et c’est l’homme moyen