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LES ROUGON-MACQUART.

vont de l’ouest à l’est, de la Grand’-Porte à la porte de Rome, coupant ainsi la ville en deux morceaux, séparant le quartier des nobles des deux autres quartiers. Ceux-ci sont eux-mêmes délimités par la rue de la Banne ; cette rue, la plus belle du pays, prend naissance à l’extrémité du cours Sauvaire et monte vers le nord, en laissant à gauche les masses noires du vieux quartier, à droite les maisons jaune clair de la ville neuve. C’est là, vers le milieu de la rue, au fond d’une petite place plantée d’arbres maigres, que se dresse la sous-préfecture, monument dont les bourgeois de Plassans sont très-fiers.

Comme pour s’isoler davantage et se mieux enfermer chez elle, la ville est entourée d’une ceinture d’anciens remparts qui ne servent aujourd’hui qu’à la rendre plus noire et plus étroite. On démolirait à coups de fusil ces fortifications ridicules, mangées de lierre et couronnées de giroflées sauvages, tout au plus égales en hauteur et en épaisseur aux murailles d’un couvent. Elles sont percées de plusieurs ouvertures, dont les deux principales, la porte de Rome et la Grand’-Porte, s’ouvrent, la première, sur la route de Nice, la seconde sur la route de Lyon, à l’autre bout de la ville. Jusqu’en 1853, ces ouvertures sont restées garnies d’énormes portes de bois à deux battants, cintrées dans le haut, et que consolidaient des lames de fer. À onze heures en été, à dix heures en hiver, on fermait ces portes à double tour. La ville, après avoir ainsi poussé les verrous comme une fille peureuse, dormait tranquille. Un gardien, qui habitait une logette placée dans un des angles intérieurs de chaque portail, avait charge d’ouvrir aux personnes attardées. Mais il fallait parlementer longtemps. Le gardien n’introduisait les gens qu’après avoir éclairé de sa lanterne et examiné attentivement leur visage au travers d’un judas ; pour peu qu’on lui déplût, on couchait dehors. Tout l’esprit de la ville, fait de poltronnerie, d’égoïsme, de routine, de la haine du dehors