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LES ROUGON-MACQUART.

-préfecture, avec des ravissements, des frétillements qui secouaient son corps de cigale ardente. Elle interprétait les moindres gestes, elle inventait les paroles qu’elle ne pouvait saisir, elle disait que Pierre saluait très-bien. Un moment, elle devint maussade, quand le préfet accorda un mot à ce pauvre Granoux qui tournait autour de lui, quêtant un éloge ; sans doute, M. de Blériot connaissait déjà l’histoire du marteau, car l’ancien marchand d’amandes rougit comme une jeune fille et parut dire qu’il n’avait fait que son devoir. Mais ce qui la fâcha plus encore, ce fut la trop grande bonté de son mari, qui présenta Vuillet à ces messieurs ; Vuillet, il est vrai, se coulait entre eux, et Rougon se trouva forcé de le nommer.

— Quel intrigant ! murmura Félicité. Il se fourre partout… Ce pauvre chéri doit être si troublé !… Voilà le colonel qui lui parle. Qu’est-ce qu’il peut bien lui dire ?

— Eh ! petite, répondit le marquis avec une fine ironie, il le complimente d’avoir si soigneusement fermé les portes.

— Mon père a sauvé la ville, dit Aristide d’une voix sèche. Avez-vous vu les cadavres, monsieur ?

M. de Carnavant ne répondit pas. Il se retira même de la fenêtre, et alla s’asseoir dans un fauteuil en hochant la tête, d’un air légèrement dégoûté. À ce moment, le préfet ayant quitté la place, Rougon accourut, se jeta au cou de sa femme.

— Ah ! ma bonne !… balbutia-t-il.

Il ne put en dire davantage. Félicité lui fit aussi embrasser Aristide, en lui parlant du superbe article de l’Indépendant. Pierre aurait également baisé le marquis sur les joues, tant il était ému. Mais sa femme le prit à part, et lui donna la lettre d’Eugène qu’elle avait remise sous enveloppe. Elle prétendit qu’on venait de l’apporter. Pierre, triomphant, la lui tendit après l’avoir lue.

— Tu es une sorcière, lui dit-il en riant. Tu as tout de-