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LA FORTUNE DES ROUGON.

un pareil coin pour se débarbouiller. Le lavabo surtout l’intéressait ; ce n’était pas malin, pensait-il, de se tenir propre, avec tant de petits pots et tant de fioles. Cela le fit penser amèrement à sa vie manquée. L’idée lui vint qu’il avait peut-être fait fausse route ; on ne gagne rien à fréquenter les gueux ; il aurait dû ne pas faire le méchant et s’entendre avec les Rougon. Puis il rejeta cette pensée. Les Rougon étaient des scélérats qui l’avaient volé. Mais les tiédeurs, les souplesses du divan continuaient à l’adoucir, à lui donner un regret vague. Après tout, les insurgés l’abandonnaient, ils se faisaient battre comme des imbéciles. Il finit par conclure que la république était une duperie. Ces Rougon avaient de la chance. Et il se rappela ses méchancetés inutiles, sa guerre sourde ; personne, dans la famille, ne l’avait soutenu : ni Aristide, ni le frère de Silvère, ni Silvère lui-même, qui était un sot de s’enthousiasmer pour les républicains, et qui n’arriverait jamais à rien. Maintenant, sa femme était morte, ses enfants l’avaient quitté ; il crèverait seul, dans un coin, sans un sou, comme un chien. Décidément, il aurait dû se vendre à la réaction. En pensant cela, il lorgnait le lavabo, pris d’une grande envie d’aller se laver les mains avec une certaine poudre de savon contenue dans une boîte de cristal. Macquart, comme tous les fainéants qu’une femme ou leurs enfants nourrissent, avait des goûts de coiffeur. Bien qu’il portât des pantalons rapiécés, il aimait à s’inonder d’huile aromatique. Il passait des heures chez son barbier, où l’on parlait politique, et qui lui donnait un coup de peigne, entre deux discussions. La tentation devint trop forte ; Macquart s’installa devant le lavabo. Il se lava les mains, la figure ; il se coiffa, se parfuma, fit une toilette complète. Il usa de tous les flacons, de tous les savons, de toutes les poudres. Mais sa plus grande jouissance fut de s’essuyer avec les serviettes du maire ; elles étaient souples, épaisses. Il y plongea sa figure humide, y respira béatement