Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/324

Cette page a été validée par deux contributeurs.
324
LES ROUGON-MACQUART.

as toujours voulu dominer. Tu vois où cela nous a conduits.

Il perdait la tête, il ne se rappelait plus qu’il s’était montré aussi âpre que sa femme. Il n’éprouvait qu’un immense désir, celui de soulager sa colère en accusant les autres de sa défaite.

— Et, d’ailleurs, continua-t-il, est-ce que nous pouvions réussir avec des enfants comme les nôtres ! Eugène nous lâche à l’instant décisif ; Aristide nous a traînés dans la boue, et il n’y a pas jusqu’à ce grand innocent de Pascal qui ne nous compromette, en faisant de la philanthropie à la suite des insurgés… Et dire que nous nous sommes mis sur la paille pour leur faire faire leurs humanités !

Il employait, dans son exaspération, des mots dont il n’usait jamais. Félicité, voyant qu’il reprenait haleine, lui dit doucement :

— Tu oublies Macquart.

— Ah ! oui, je l’oublie ! reprit-il avec plus de violence, en voilà encore un dont la pensée me met hors de moi !… Mais ce n’est pas tout ; tu sais, le petit Silvère, je l’ai vu chez ma mère, l’autre soir, les mains pleines de sang ; il a crevé un œil à un gendarme. Je ne t’en ai pas parlé, pour ne point t’effrayer. Vois-tu un de mes neveux en cour d’assises ? Ah ! quelle famille !… Quant à Macquart, il nous a gênés, au point que j’ai eu l’envie de lui casser la tête, l’autre jour, quand j’avais un fusil. Oui, j’ai eu cette envie…

Félicité laissait passer le flot. Elle avait reçu les reproches de son mari avec une douceur angélique, baissant la tête comme une coupable, ce qui lui permettait de rayonner en dessous. Par son attitude, elle poussait Pierre, elle l’affolait. Quand la voix manqua au pauvre homme, elle eut de gros soupirs, feignant le repentir ; puis elle répéta d’une voix désolée :