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LA FORTUNE DES ROUGON.

quelle il déclarait que Dieu voulait l’extermination des méchants, il terminait par ce coup de trompette : « On affirme que ces misérables sont de nouveau à nos portes ; eh bien ! que chacun de nous prenne un fusil et qu’on les tue comme des chiens ; on me verra au premier rang, heureux de débarrasser la terre d’une pareille vermine. »

Cet article, où la lourdeur du journalisme de province enfilait des périphrases ordurières, avait consterné Rougon, qui murmura, lorsque Félicité posa la Gazette sur la table :

— Ah ! le malheureux ! il nous donne le dernier coup ; on croira que c’est moi qui ai inspiré cette diatribe.

— Mais, dit sa femme, songeuse, ne m’as-tu pas annoncé ce matin qu’il refusait absolument d’attaquer les républicains ? Les nouvelles l’avaient terrifié, et tu prétendais qu’il était pâle comme un mort.

— Eh ! oui, je n’y comprends rien. Comme j’insistais, il est allé jusqu’à me reprocher de ne pas avoir tué tous les insurgés… C’était hier qu’il aurait dû écrire son article ; aujourd’hui, il va nous faire massacrer.

Félicité se perdait en plein étonnement. Quelle mouche avait donc piqué Vuillet ? L’image de ce bedeau manqué, un fusil à la main, faisant le coup de feu sur les remparts de Plassans, lui semblait une des choses les plus bouffonnes qu’on pût imaginer. Il y avait certainement là-dessous quelque cause déterminante qui lui échappait. Vuillet avait l’injure trop impudente et le courage trop facile, pour que la bande insurrectionnelle fût réellement si voisine des portes de la ville.

— C’est un méchant homme, je l’ai toujours dit, reprit Rougon qui venait de relire l’article. Il n’a peut-être voulu que nous faire du tort. J’ai été bien bon enfant de lui laisser la direction des postes.

Ce fut un trait de lumière. Félicité se leva vivement,