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LA FORTUNE DES ROUGON.

la modestie de leur ami, et qu’il l’approuvait. Personne, certes, ne songerait à l’accuser d’ambition, mais on sentirait la délicatesse qu’il mettait à ne vouloir rien être sans l’assentiment de ses concitoyens. Cela était très-digne, très-noble, tout à fait grand.

Sous cette pluie d’éloges, Rougon baissait humblement la tête. Il murmurait : « Non, non, vous allez trop loin, » avec de petites pâmoisons d’homme chatouillé voluptueusement. Chaque phrase du bonnetier retiré et de l’ancien marchand d’amandes, placés l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, lui passait suavement sur la face ; et, renversé dans le fauteuil du maire, pénétré par les senteurs administratives du cabinet, il saluait à gauche, à droite, avec des allures de prince prétendant dont un coup d’État va faire un empereur.

Quand ils furent las de s’encenser, ils descendirent. Granoux partit à la recherche du conseil municipal. Roudier dit à Rougon d’aller en avant ; il le rejoindrait chez lui, après avoir donné les ordres nécessaires pour la garde de la mairie. Le jour grandissait. Pierre gagna la rue de la Banne, en faisant sonner militairement ses talons sur les trottoirs encore déserts. Il tenait son chapeau à la main, malgré le froid vif ; des bouffées d’orgueil lui jetaient tout le sang au visage.

Au bas de l’escalier, il trouva Cassoute. Le terrassier n’avait pas bougé, n’ayant vu rentrer personne. Il était là, sur la première marche, sa grosse tête entre les mains, regardant fixement devant lui, avec le regard vide et l’entêtement muet d’un chien fidèle.

— Vous m’attendiez, n’est-ce pas ? lui dit Pierre, qui comprit tout en l’apercevant. Eh bien ! allez dire à M. Macquart que je suis rentré. Demandez-le à la mairie.

Cassoute se leva et se retira, en saluant gauchement. Il alla se faire arrêter comme un mouton, pour la grande