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LA FORTUNE DES ROUGON.

Une voix rude répétait qu’il fallait mourir là. Mais la voix affolée, la voix de terreur, criait plus haut : « Sauve qui peut ! sauve qui peut ! » Des hommes s’enfuirent, jetant leurs armes, sautant par-dessus les morts. Les autres serrèrent les rangs. Il resta une dizaine d’insurgés. Deux prirent encore la fuite ; et, sur les huit autres, trois furent tués d’un coup.

Les deux enfants étaient restés machinalement, sans rien comprendre. À mesure que le bataillon diminuait, Miette élevait le drapeau davantage ; elle le tenait, comme un grand cierge, devant elle, les poings fermés. Il était criblé de balles. Quand Silvère n’eut plus de cartouches dans les poches, il cessa de tirer, il regarda sa carabine d’un air stupide. Ce fut alors qu’une ombre lui passa sur la face, comme si un oiseau colossal eût effleuré son front d’un battement d’aile. Et, levant les yeux, il vit le drapeau qui tombait des mains de Miette. L’enfant, les deux poings serrés sur sa poitrine, la tête renversée, avec une expression atroce de souffrance, tournait lentement sur elle-même. Elle ne poussa pas un cri ; elle s’affaissa en arrière, sur la nappe rouge du drapeau.

— Relève-toi, viens vite, dit Silvère lui tendant la main, la tête perdue.

Mais elle resta par terre, les yeux tout grands ouverts, sans dire un mot. Il comprit, il se jeta à genoux.

— Tu es blessée, dis ? Où es-tu blessée ?

Elle ne disait toujours rien ; elle étouffait ; elle le regardait de ses yeux agrandis, secouée par de courts frissons. Alors il lui écarta les mains.

— C’est là, n’est-ce pas ? c’est là.

Et il déchira son corsage, mit à nu sa poitrine. Il chercha, il ne vit rien. Ses yeux s’emplissaient de larmes. Puis, sous le sein gauche, il aperçut un petit trou rose ; une seule goutte de sang tachait la plaie.