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LES ROUGON-MACQUART.

de la Mairie, dont les fenêtres donnaient sur la Grand’Place, regardaient, avec une surprise effrayée, ces farandoles, ces grands courants d’enthousiasme qui passaient devant eux.

— Quels gueux ! murmurait le commandant, appuyé à la rampe d’une fenêtre, comme sur le velours d’une loge de théâtre ; et dire qu’il ne viendra pas une ou deux batteries pour me nettoyer toute cette canaille !

Puis il aperçut Miette, il ajouta, en s’adressant à M. Garçonnet :

— Voyez donc, monsieur le maire, cette grande fille rouge, là-bas. C’est une honte. Ils ont traîné leurs créatures avec eux. Pour peu que cela continue, nous allons assister à de belles choses.

M. Garçonnet hochait la tête, parlant « des passions déchaînées » et « des plus mauvais jours de notre histoire. » M. Peirotte, blanc comme un linge, restait silencieux ; il ouvrit une seule fois les lèvres, pour dire à Sicardot, qui continuait à déblatérer amèrement :

— Plus bas donc, monsieur ! vous allez nous faire massacrer.

La vérité était que les insurgés traitaient ces messieurs avec la plus grande douceur. Ils leur firent même servir, le soir, un excellent dîner. Mais, pour des trembleurs comme le receveur particulier, de pareilles attentions devenaient effrayantes : les insurgés ne devaient les traiter si bien que dans le but de les trouver plus gras et plus tendres, le jour où ils les mangeraient.

Au crépuscule, Silvère se rencontra face à face avec son cousin, le docteur Pascal. Le savant avait suivi la bande à pied, causant au milieu des ouvriers, qui le vénéraient. Il s’était d’abord efforcé de les détourner de la lutte ; puis, comme gagné par leurs discours :

— Vous avez peut-être raison mes amis, leur avait-il dit