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LA FORTUNE DES ROUGON.

louanges. Heureusement qu’il oubliait ces belles choses, dès que Miette sautait son mur et qu’elle lui disait sur la grande route :

— Courons, veux-tu ? je parie que tu ne m’attraperas pas.

Mais si le jeune homme rêvait tout éveillé la glorification de son amoureuse, il avait de tels besoins de justice, qu’il la faisait souvent pleurer en lui parlant de son père. Malgré les attendrissements profonds que l’amitié de Silvère avait mis en elle, elle avait encore, de loin en loin, des réveils brusques, des heures mauvaises, où les entêtements, les rébellions de sa nature sanguine la roidissaient, les yeux durs, les lèvres serrées. Alors, elle soutenait que son père avait bien fait de tuer le gendarme, que la terre appartient à tout le monde, qu’on a le droit de tirer des coups de fusil où l’on veut et quand on veut. Et Silvère, de sa voix grave, lui expliquait le code comme il le comprenait, avec des commentaires étranges qui auraient fait bondir toute la magistrature de Plassans. Ces causeries avaient lieu, le plus souvent, dans quelque coin perdu des prés Sainte-Claire. Les tapis d’herbe, d’un noir verdâtre, s’étendaient à perte de vue, sans qu’un seul arbre tachât l’immense nappe, et le ciel semblait énorme, emplissant de ses étoiles la rondeur nue de l’horizon. Les enfants étaient comme bercés dans cette mer de verdure. Miette luttait longtemps ; elle demandait à Silvère s’il eût mieux valu que son père se laissât tuer par le gendarme, et Silvère gardait un instant le silence ; puis il disait que, dans un tel cas, il valait mieux être la victime que le meurtrier, et que c’était un grand malheur, lorsqu’on tuait son semblable, même en état de légitime défense. Pour lui, la loi était chose sainte, les juges avaient eu raison d’envoyer Chantegreil au bagne. La jeune fille s’emportait, elle aurait battu son ami, elle lui criait qu’il avait aussi mauvais cœur que les autres. Et comme il continuait à défendre fermement