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LA FORTUNE DES ROUGON.

ment, s’appelant, se récriant, surpris par la fraîcheur. Et les scrupules, les hontes inavouées, les pudeurs secrètes, furent oubliés. Ils restèrent là une grande heure, barbotant, se jetant de l’eau au visage, Miette se fâchant, puis éclatant de rire, et Silvère lui donnant sa première leçon, lui enfonçant de temps à autre la tête, pour l’aguerrir. Tant qu’il la tenait d’une main par la ceinture de son costume, en lui passant l’autre main sous le ventre, elle faisait aller furieusement les jambes et les bras, elle croyait nager ; mais, dès qu’il la lâchait, elle se débattait en criant, et, les mains tendues, frappant l’eau, elle se rattrapait où elle pouvait, à la taille du jeune homme, à l’un de ses poignets. Elle s’abandonnait un instant contre lui, elle se reposait, essoufflée, toute ruisselante, tandis que son costume mouillé dessinait les grâces de son buste de vierge. Puis elle criait :

— Encore une fois ; mais tu le fais exprès, tu ne me tiens pas.

Et rien de honteux ne leur venait de ces embrassements de Silvère penché pour la soutenir, de ces sauvetages éperdus de Miette se pendant au cou du jeune homme. Le froid du bain les mettait dans une pureté de cristal. C’était, sous la nuit tiède, au milieu des feuillages pâmés, deux innocences nues qui riaient. Silvère, après les premiers bains, se reprocha secrètement d’avoir rêvé le mal. Miette se déshabillait si vite, et elle était si fraîche dans ses bras, si sonore de rires !

Mais, au bout de quinze jours, l’enfant sut nager. Libre de ses membres, bercée par le flot, jouant avec lui, elle se laissait envahir par les souplesses molles de la rivière, par le silence du ciel, par les rêveries des berges mélancoliques.

Quand tous deux ils nageaient sans bruit, Miette croyait voir, aux deux bords, les feuillages s’épaissir, se pencher vers eux, draper leur retraite de rideaux énormes. Et les jours de lune, des lueurs glissaient entre les troncs, des