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LA FORTUNE DES ROUGON.

ils n’y trouvaient plus l’isolement qui plaisait à leur sauvagerie d’enfants amoureux. L’aire Saint-Mittre se peuplait, les gamins du faubourg restaient sur les poutres à se poursuivre, à crier, jusqu’à onze heures ; il arriva même parfois qu’un d’entre eux vint se cacher derrière les tas de planches, en jetant à Miette et à Silvère le rire effronté d’un vaurien de dix ans. La crainte d’être surpris, le réveil, les bruits de la vie qui grandissaient autour d’eux, à mesure que la saison devenait plus chaude, rendirent leurs entrevues inquiètes.

Puis, ils commençaient à étouffer dans l’allée étroite. Jamais elle n’avait frissonné d’un si ardent frisson ; jamais le sol, ce terreau où dormaient les derniers ossements de l’ancien cimetière, n’avait laissé échapper des haleines plus troublantes. Et ils avaient encore trop d’enfance pour goûter le charme voluptueux de ce trou perdu, tout enfiévré par le printemps. Les herbes leur montaient aux genoux ; ils allaient et venaient difficilement et, quand ils écrasaient les jeunes pousses, certaines plantes exhalaient des odeurs âcres qui les grisaient. Alors, pris d’étranges lassitudes, troublés et vacillants, les pieds comme liés par les herbes, ils s’adossaient contre la muraille, les yeux demi-clos, ne pouvant plus avancer. Il leur semblait que toute la langueur du ciel entrait en eux.

Leur pétulance d’écolier s’accommodant mal de ces faiblesses subites, ils finirent par accuser leur retraite de manquer d’air et par se décider à aller promener leur tendresse plus loin, en pleine campagne. Alors ce furent, chaque soir, de nouvelles escapades. Miette vint avec sa pelisse ; tous deux s’enfouissaient dans le large vêtement, ils filaient le long des murs, ils gagnaient la grand’route, les champs libres, les champs larges où l’air roulait puissamment comme les vagues de la haute mer. Et ils n’étouffaient plus, ils retrouvaient là leur enfance, ils sentaient se dissiper les tournoie-