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LA FORTUNE DES ROUGON.


— Prends garde, mon garçon, on en meurt.

Ce furent les seules paroles qu’elle prononça en cette aventure, qui remua toutes les douleurs endormies au fond de son être. Elle s’était fait une religion du silence. Quand Silvère fut rentré, elle ferma la porte à double tour et jeta la clef dans le puits. Elle était certaine, de cette façon, que la porte ne la rendrait plus complice. Elle revint l’examiner un instant, heureuse de lui voir reprendre son air sombre et immuable. La tombe était refermée, la trouée blanche se trouvait à jamais bouchée par ces quelques planches noires d’humidité, vertes de mousse, sur lesquelles les escargots avaient pleuré des larmes d’argent.

Le soir, tante Dide eut une de ces crises nerveuses qui la secouaient encore de loin en loin. Pendant ces attaques, elle parlait souvent à voix haute, sans suite, comme dans un cauchemar. Ce soir-là, Silvère qui la maintenait sur son lit, navré d’une pitié poignante pour ce pauvre corps tordu, l’entendit prononcer en haletant les mots de douanier, de coup de feu, de meurtre. Et elle se débattait, elle demandait grâce, elle rêvait de vengeance. Quand la crise toucha à sa fin, elle eut, comme il arrivait toujours, une épouvante singulière, un frisson d’effroi qui faisait claquer ses dents. Elle se soulevait à moitié, elle regardait avec un étonnement hagard dans les coins de la pièce, puis se laissait retomber sur l’oreiller en poussant de longs soupirs. Sans doute elle était prise d’hallucination. Alors elle attira Silvère sur sa poitrine, elle parut commencer à le reconnaître, tout en le confondant par instants avec une autre personne.

— Ils sont là, bégaya-t-elle. Vois-tu, ils vont te prendre, ils te tueront encore… Je ne veux pas… Renvoie-les, dis-leur que je ne veux pas, qu’ils me font mal, à fixer ainsi leurs regards sur moi…

Et elle se tourna vers la ruelle, pour ne plus voir les gens dont elle parlait. Au bout d’un silence :