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LA FORTUNE DES ROUGON.

leurs pieds dans l’eau, ils causeraient pendant des heures, sans qu’on s’avisât jamais de les venir chercher en cet endroit. Puis, quand ils se demandaient ce qu’il pouvait bien y avoir là-bas, leurs frayeurs vagues revenaient, et ils pensaient que c’était assez déjà d’y laisser descendre leur image, tout au fond, dans ces lueurs vertes qui moiraient les pierres d’étranges reflets, dans ces bruits singuliers qui montaient des coins noirs. Ces bruits surtout, venus de l’invisible, les inquiétaient ; souvent il leur semblait que des voix répondaient aux leurs ; alors ils se taisaient, et ils entendaient mille petites plaintes qu’ils ne s’expliquaient pas : travail sourd de l’humidité, soupirs de l’air, gouttes d’eau glissant sur les pierres et dont la chute avait la sonorité grave d’un sanglot. Pour se rassurer, ils se faisaient des signes de tête affectueux. L’attrait qui les retenait accoudés aux margelles avait ainsi, comme tout charme poignant, sa pointe d’horreur secrète. Mais le puits restait leur vieil ami. Il était un si excellent prétexte à leur rendez-vous ! Jamais Justin, qui espionnait chaque pas de Miette, ne se défia de son empressement à aller tirer de l’eau, le matin. Parfois il la regardait de loin se pencher, s’attarder. « Ah ! la fainéante ! murmurait-il, dire qu’elle s’amuse à faire des ronds ! » Comment soupçonner que, de l’autre côté du mur, il y avait un galant qui regardait dans l’eau le sourire de la jeune fille, en lui disant : « Si cet âne rouge de Justin te maltraite, dis-le-moi, il aura de mes nouvelles ! »

Pendant plus d’un mois, ce jeu dura. On était en juillet ; les matinées brûlaient, blanches de soleil, et c’était une volupté d’accourir là, dans ce coin humide. Il faisait bon de recevoir au visage l’haleine glacée du puits, de s’aimer dans cette eau de source, à l’heure où l’incendie du ciel s’allumait. Miette arrivait tout essoufflée, traversant les chaumes ; dans sa course, les petits cheveux de son front et de ses tempes s’échevelaient ; elle prenait à peine le temps de poser sa cru-