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LA FORTUNE DES ROUGON.

tuait les gendarmes ! Jamais il n’aurait la place de receveur, s’il n’empêchait ce fou furieux de rejoindre les insurgés. Il se mit devant la porte, décidé à ne pas le laisser sortir.

— Écoutez, dit-il à Silvère, très-surpris de le trouver là, je suis le chef de la famille, je vous défends de quitter cette maison. Il y va de votre honneur et du nôtre. Demain, je tâcherai de vous faire gagner la frontière.

Silvère haussa les épaules.

— Laissez-moi passer, répondit-il tranquillement. Je ne suis pas un mouchard ; je ne ferai pas connaître votre cachette, soyez tranquille.

Et comme Rougon continuait de parler de la dignité de la famille et de l’autorité que lui donnait sa qualité d’aîné :

— Est-ce que je suis de votre famille ! continua le jeune homme. Vous m’avez toujours renié… Aujourd’hui, la peur vous a poussé ici, parce que vous sentez bien que le jour de la justice est venu. Voyons, place ! je ne me cache pas, moi ; j’ai un devoir à accomplir.

Rougon ne bougeait pas. Alors tante Dide, qui écoutait les paroles véhémentes de Silvère avec une sorte de ravissement, posa sa main sèche sur le bras de son fils.

— Ôte-toi, Pierre, dit-elle, il faut que l’enfant sorte.

Le jeune homme poussa légèrement son oncle et s’élança dehors. Rougon, en refermant la porte avec soin, dit à sa mère d’une voix pleine de colère et de menaces :

— S’il lui arrive malheur, ce sera de votre faute… Vous êtes une vieille folle, vous ne savez pas ce que vous venez de faire.

Mais Adélaïde ne parut pas l’entendre ; elle alla jeter un sarment dans le feu qui s’éteignait, en murmurant avec un vague sourire :

— Je connais ça… Il restait des mois entiers dehors ; puis il me revenait mieux portant.