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LES ROUGON-MACQUART.

coin, sur le vieux coffre. Il n’attendit pas les questions de la pauvre vieille.

— Grand’mère, dit-il rapidement, il faut me pardonner… Je vais partir avec les autres… Vous voyez, j’ai du sang… Je crois que j’ai tué un gendarme.

— Tu as tué un gendarme ! répéta tante Dide d’une voix étrange.

Des clartés aiguës s’allumaient dans ses yeux fixés sur les taches rouges. Brusquement, elle se tourna vers le manteau de la cheminée.

— Tu as pris le fusil, dit-elle ; où est le fusil ?

Silvère, qui avait laissé la carabine auprès de Miette, lui jura que l’arme était en sûreté. Pour la première fois, Adélaïde fit allusion au contrebandier Macquart devant son petit-fils.

— Tu rapporteras le fusil ? Tu me le promets ! dit-elle avec une singulière énergie… C’est tout ce qui me reste de lui… Tu as tué un gendarme ; lui, ce sont les gendarmes qui l’ont tué.

Elle continuait à regarder Silvère fixement, d’un air de cruelle satisfaction, sans paraître songer à le retenir. Elle ne lui demandait aucune explication, elle ne pleurait point, comme ces bonnes grand’mères qui voient leurs petits-enfants à l’agonie pour la moindre égratignure. Tout son être se tendait vers une même pensée, qu’elle finit par formuler avec une curiosité ardente.

— Est-ce que c’est avec le fusil que tu as tué le gendarme ? demanda-t-elle.

Sans doute Silvère entendit mal ou ne comprit pas.

— Oui, répondit-il… Je vais me laver les mains.

Ce ne fut qu’en revenant du puits qu’il aperçut son oncle. Pierre avait entendu en pâlissant les paroles du jeune homme. Vraiment, Félicité avait raison, sa famille prenait plaisir à le compromettre. Voilà maintenant qu’un de ses neveux