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LA FORTUNE DES ROUGON.

la hâte. Silvère, devenu farouche, grisé par l’élan de la bande, s’attaqua à un grand diable de gendarme nommé Rengade, avec lequel il lutta quelques instants. Il parvint, d’un mouvement brusque, à lui enlever sa carabine. Le canon de l’arme alla frapper violemment Rengade au visage et lui creva l’œil droit. Le sang coula, des éclaboussures jaillirent sur les mains de Silvère, qui fut subitement dégrisé. Il regarda ses mains, il lâcha la carabine ; puis il sortit en courant, la tête perdue, secouant les doigts.

— Tu es blessé ! cria Miette.

— Non, non, répondit-il d’une voix étouffée, c’est un gendarme que je viens de tuer.

— Est-ce qu’il est mort !

— Je ne sais pas, il avait du sang plein la figure. Viens vite.

Il entraîna la jeune fille. Arrivé à la halle, il la fit asseoir sur un banc de pierre. Il lui dit de l’attendre là. Il regardait toujours ses mains, il balbutiait. Miette finit par comprendre, à ses paroles entrecoupées, qu’il voulait aller embrasser sa grand’mère avant de partir.

— Eh bien ! va, dit-elle. Ne t’inquiète pas de moi. Lave tes mains.

Il s’éloigna rapidement, tenant ses doigts écartés, sans songer à les tremper dans les fontaines auprès desquelles il passait. Depuis qu’il avait senti sur sa peau la tiédeur du sang de Rengade, une seule idée le poussait, courir auprès de tante Dide et se laver les mains dans l’auge du puits, au fond de la petite cour. Là seulement, il croyait pouvoir effacer ce sang. Toute son enfance paisible et tendre s’éveillait, il éprouvait un besoin irrésistible de se réfugier dans les jupes de sa grand’mère, ne fût-ce que pendant une minute. Il arriva haletant. Tante Dide n’était pas couchée, ce qui aurait surpris Silvère en tout autre moment. Mais il ne vit pas même, en entrant, son oncle Rougon, assis dans un