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LES ROUGON-MACQUART.

sachant sur qui se venger, il reprit ses accusations de la veille ; il tint la malheureuse jusqu’à minuit, toute frissonnante de honte et d’épouvante. Adélaïde lui ayant appris que Pierre lui servait une pension, il devint certain pour lui que son frère avait empoché les cinquante mille francs. Mais, dans son irritation, il feignit de douter encore, par un raffinement de méchanceté qui le soulageait. Et il ne cessait de l’interroger d’un air soupçonneux, en paraissant continuer à croire qu’elle avait mangé sa fortune avec des amants.

— Voyons, mon père n’a pas été le seul, dit-il enfin avec grossièreté.

À ce dernier coup, elle alla se jeter chancelante sur un vieux coffre, où elle resta toute la nuit à sangloter.

Antoine comprit bientôt qu’il ne pouvait, seul et sans ressources, mener à bien une campagne contre son frère. Il essaya d’abord d’intéresser Adélaïde à sa cause ; une accusation, portée par elle, devait avoir de graves conséquences. Mais la pauvre femme, si molle et si endormie, dès les premiers mots d’Antoine, refusa avec énergie d’inquiéter son fils aîné.

— Je suis une malheureuse, balbutiait-elle. Tu as raison de te mettre en colère. Mais, vois-tu, ce serait trop de remords, si je faisais conduire un de mes enfants en prison. Non, j’aime mieux que tu me battes.

Il sentit qu’il n’en tirerait que des larmes, et il se contenta d’ajouter qu’elle était justement punie et qu’il n’avait aucune pitié d’elle. Le soir, Adélaïde, secouée par les querelles successives que lui cherchait son fils, eut une de ces crises nerveuses qui la tenaient roidie, les yeux ouverts, comme morte. Le jeune homme la jeta sur son lit ; puis, sans même la délacer, il se mit à fureter dans la maison, cherchant si la malheureuse n’avait pas des économies cachées quelque part. Il trouva une quarantaine de francs. Il s’en empara, et, tandis que sa mère restait là, rigide et sans