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LA FORTUNE DES ROUGON.

contrebandier ; à l’épaisseur de la crosse et à la culasse puissante du canon, on reconnaissait un ancien fusil à pierre qu’un armurier du pays avait transformé en fusil à piston. On voit de ces carabines-là accrochées dans les fermes, au-dessus des cheminées. Le jeune homme caressait son arme avec amour ; il rabattit le chien à plus de vingt reprises, introduisit son petit doigt dans le canon, examina attentivement la crosse. Peu à peu, il s’anima d’un jeune enthousiasme, auquel se mêlait quelque enfantillage. Il finit par mettre la carabine en joue, visant dans le vide comme un conscrit qui fait l’exercice.

Huit heures ne devaient pas tarder à sonner. Il gardait son arme en joue depuis une grande minute, lorsqu’une voix, légère comme un souffle, basse et haletante, vint du Jas-Meiffren.

— Es-tu là, Silvère ? demanda la voix.

Silvère laissa tomber son fusil et, d’un bond, se trouva sur la pierre tombale.

— Oui, oui, répondit-il, en étouffant également sa voix… Attends, je vais t’aider.

Il n’avait pas encore tendu les bras, qu’une tête de jeune fille apparut au-dessus de la muraille. L’enfant, avec une agilité singulière, s’était aidée du tronc d’un mûrier et avait grimpé comme une jeune chatte. À la certitude et à l’aisance de ses mouvements, on voyait que cet étrange chemin devait lui être familier. En un clin d’œil, elle se trouva assise sur le chaperon du mur. Alors Silvère la prit dans ses bras et la posa sur le banc. Mais elle se débattit.

— Laisse donc, disait-elle avec un rire de gamine qui joue, laisse donc… Je sais bien descendre toute seule.

Puis, quand elle fut sur la pierre :

— Tu m’attends depuis longtemps ?… J’ai couru, je suis tout essoufflée.

Silvère ne répondit pas. Il ne paraissait guère en train de