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LES ROUGON-MACQUART.

trouvant personne qui leur disputât leur rôle de sauveurs.

Le dénouement approchait. Dans les derniers jours de novembre, comme le bruit d’un coup d’État courait et qu’on accusait le prince président de vouloir se faire nommer empereur :

— Eh ! nous le nommerons ce qu’il voudra, s’était écrié Granoux, pourvu qu’il fasse fusiller ces gueux de républicains !

Cette exclamation de Granoux, qu’on croyait endormi, causa une grande émotion. Le marquis feignit de ne pas avoir entendu ; mais tous les bourgeois approuvèrent de la tête l’ancien marchand d’amandes. Roudier, qui ne craignait pas d’applaudir tout haut, parce qu’il était riche, déclara même, en regardant M. de Carnavant du coin de l’œil, que la position n’était plus tenable, et que la France devait être corrigée au plus tôt par n’importe quelle main.

Le marquis garda encore le silence, ce qui fut pris pour un acquiescement. Le clan des conservateurs, abandonnant la légitimité, osa alors faire des vœux pour l’Empire.

— Mes amis, dit le commandant Sicardot en se levant, un Napoléon peut seul aujourd’hui protéger les personnes et les propriétés menacées… Soyez sans crainte, j’ai pris les précautions nécessaires pour que l’ordre règne à Plassans.

Le commandant avait, en effet, de concert avec Rougon, caché, dans une sorte d’écurie, près des remparts, une provision de cartouches et un nombre assez considérable de fusils ; il s’était en même temps assuré le concours de gardes nationaux sur lesquels il croyait pouvoir compter. Ses paroles produisirent une très-heureuse impression. Ce soir-là, en se séparant, les paisibles bourgeois du salon jaune parlaient de massacrer « les rouges », s’ils osaient bouger.

Le 1er décembre, Pierre Rougon reçut une lettre d’Eugène qu’il alla lire dans la chambre à coucher, selon sa prudente