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LES ROUGON-MACQUART.

— Il est bien temps que cela finisse, dit-elle ; nous nous ruinons en bois et en huile, depuis que ces messieurs viennent ici. Et qui payera la note ? Personne peut-être.

Son mari donna dans le piége. Il eut un sourire de supériorité complaisante.

— Patience, dit-il.

Puis, il ajouta d’un air fin, en regardant sa femme dans les yeux.

— Serais-tu contente d’être la femme d’un receveur particulier ?

Le visage de Félicité s’empourpra d’une joie chaude. Elle se mit sur son séant, frappant comme une enfant dans ses mains sèches de petite vieille.

— Vrai ?… balbutia-t-elle. À Plassans ?…

Pierre, sans répondre, fit un long signe affirmatif. Il jouissait de l’étonnement de sa compagne. Elle étranglait d’émotion.

— Mais, reprit-elle enfin, il faut un cautionnement énorme. Je me suis laissé dire que notre voisin, M. Peirotte, avait dû déposer quatre-vingt mille francs au trésor.

— Eh ! dit l’ancien marchand d’huile, ça ne me regarde pas. Eugène se charge de tout. Il me fera avancer le cautionnement par un banquier de Paris… Tu comprends, j’ai choisi une place qui rapporte gros. Eugène a commencé par faire la grimace. Il me disait qu’il fallait être riche pour occuper ces positions-là, qu’on choisissait d’habitude des gens influents. J’ai tenu bon, et il a cédé. Pour être receveur, on n’a pas besoin de savoir le latin ni le grec ; j’aurai, comme M. Peirotte, un fondé de pouvoir qui fera toute la besogne.

Félicité l’écoutait avec ravissement.

— J’ai bien deviné, continua-t-il, ce qui inquiétait notre cher fils. Nous sommes peu aimés ici. On nous sait sans for-