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LA CURÉE

Il ne devait jamais se pardonner d’être resté républicain jusqu’au 2 Décembre ; c’était sa plaie vive, son éternelle confusion. Eugène avait tranquillement repris sa plume. Quand il eut fini :

— Bah ! dit-il, toutes les fautes se réparent. Tu es plein d’avenir.

Il prononça ces mots d’une voix si nette, avec un regard si pénétrant, qu’Aristide baissa la tête, sentant que son frère descendait au plus profond de son être. Celui-ci continua avec une brutalité amicale :

— Tu viens pour que je te place, n’est-ce pas ? J’ai déjà songé à toi, mais je n’ai encore rien trouvé. Tu comprends, je ne puis te mettre n’importe où. Il te faut un emploi où tu fasses ton affaire sans danger pour toi ni pour moi… Ne te récrie pas, nous sommes seuls, nous pouvons nous dire certaines choses…

Aristide prit le parti de rire.

— Oh ! je sais que tu es intelligent, poursuivit Eugène, et que tu ne commettrais plus une sottise improductive… Dès qu’une bonne occasion se présentera, je te caserai. Si d’ici là tu avais besoin d’une pièce de vingt francs, viens me la demander.

Ils causèrent un instant de l’insurrection du Midi, dans laquelle leur père avait gagné sa recette particulière. Eugène s’habillait tout en causant. Dans la rue, au moment de le quitter, il retint son frère un instant encore, il lui dit à voix plus basse :

— Tu m’obligeras en ne battant pas le pavé et en attendant tranquillement chez toi l’emploi que je te promets… Il me serait désagréable de voir mon frère faire antichambre.

Aristide avait du respect pour Eugène, qui lui sem-