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LES ROUGON-MACQUART

leur faute avait poussé comme sur un fumier gras de sucs équivoques ; elle s’était développée avec d’étranges raffinements, au milieu de particulières conditions de débauche.

Lorsque la grande calèche les emportait au Bois et les roulait mollement le long des allées, se contant des gravelures à l’oreille, cherchant dans leur enfance les polissonneries de l’instinct, ce n’était là qu’une déviation et qu’un contentement inavoué de leurs désirs. Ils se sentaient vaguement coupables, comme s’ils s’étaient effleurés d’un attouchement ; et même ce péché originel, cette langueur des conversations ordurières qui les lassait d’une fatigue voluptueuse, les chatouillait plus doucement encore que des baisers nets et positifs. Leur camaraderie fut ainsi la marche lente de deux amoureux, qui devait fatalement un jour les mener au cabinet du café Riche et au grand lit gris et rose de Renée. Quand ils se trouvèrent aux bras l’un de l’autre, ils n’eurent pas la secousse de la faute. On eût dit de vieux amants, dont les baisers avaient des ressouvenirs. Et ils venaient de perdre tant d’heures dans un contact de tout leur être, qu’ils parlaient malgré eux de ce passé plein de leurs tendresses ignorantes.

— Tu te souviens, le jour où je suis arrivé à Paris, disait Maxime, tu avais un drôle de costume ; et, avec mon doigt, j’ai tracé un angle sur ta poitrine, je t’ai conseillé de te décolleter en pointe… Je sentais ta peau sous la chemisette, et mon doigt enfonçait un peu… C’était très bon…

Renée riait, le baisant, murmurant :

— Tu étais déjà joliment vicieux… Nous as-tu amusées, chez Worms, tu te rappelles ! Nous t’appelions