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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

-il ; je serais enchanté, si je vous étais bon à quelque chose… Plassans est une petite ville où l’on s’accommode un trou à la longue. Moi, je suis des environs de Dijon. Eh bien ! lorsqu’on m’a nommé ici conservateur des eaux et forêts, je détestais le pays, je m’y ennuyais à mourir. C’était à la veille de l’empire. Après 51 surtout, la province n’a rien eu de gai, je vous assure. Dans ce département, les habitants avaient une peur de chien. La vue d’un gendarme les aurait fait rentrer sous terre… Cela s’est calmé peu à peu, ils ont repris leur train-train habituel, et, ma foi, j’ai fini par me résigner. Je vis au-dehors, je fais de longues promenades à cheval, je me suis créé quelques relations.

Il baissa la voix, il continua d’un ton confidentiel :

— Si vous m’en croyez, monsieur l’abbé, vous serez prudent. Vous ne vous imaginez pas dans quel guêpier j’ai failli tomber… Plassans est divisé en trois quartiers absolument distincts : le vieux quartier, où vous n’aurez que des consolations et des aumônes à porter ; le quartier Saint-Marc, habité par la noblesse du pays, un lieu d’ennui et de rancune dont vous ne sauriez trop vous méfier ; et la ville neuve, le quartier qui se bâtit en ce moment encore autour de la sous-préfecture, le seul possible, le seul convenable… Moi, j’avais commis la sottise de descendre dans le quartier Saint-Marc, où je pensais que mes relations devaient m’appeler. Ah ! bien oui, je n’ai trouvé que des douairières sèches comme des échalas et des marquis conservés sur de la paille. Tout le monde pleure le temps où Berthe filait. Pas la moindre réunion, pas un bout de fête ; une conspiration sourde contre l’heureuse paix dans laquelle nous vivons… J’ai manqué me compromettre, ma parole d’honneur. Péqueur s’est moqué de moi… monsieur Péqueur des Saulaies, notre sous-préfet, vous le connaissez ?… Alors j’ai passé le cours Sauvaire, j’ai pris un appartement là, sur la place. Voyez-vous, à Plassans, le peuple n’existe pas, la no-