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LES ROUGON-MACQUART.

jeune homme, au visage déjà fatigué, traverser le petit salon. L’autre personnage, celui qui accommodait si allègrement les Rougon, se leva également. Une dame qui passait se laissa dire par lui des choses fort douces ; elle riait, elle l’appelait « ce cher monsieur de Condamin. » Le prêtre reconnut alors le bel homme de soixante ans que Mouret lui avait montré dans le jardin de la sous-préfecture. M. de Condamin vint s’asseoir à l’autre coin de la cheminée. Là, il fut tout surpris d’apercevoir l’abbé Faujas, que le dossier du fauteuil lui avait caché ; mais il ne se déconcerta nullement, il sourit, et avec un aplomb d’homme aimable :

— Monsieur l’abbé, dit-il, je crois que nous venons de nous confesser sans le vouloir… C’est un gros péché, n’est-ce pas, que de médire du prochain ? Heureusement que vous étiez là pour nous absoudre.

L’abbé, si maître qu’il fût de son visage, ne put s’empêcher de rougir légèrement. Il entendit à merveille que M. de Condamin lui reprochait d’avoir retenu son souffle pour écouter. Mais celui-ci n’était pas homme à garder rancune à un curieux, au contraire. Il fut ravi de cette pointe de complicité qu’il venait de mettre entre le prêtre et lui. Cela l’autorisait à causer librement, à tuer la soirée en racontant l’histoire scandaleuse des personnes qui étaient là. C’était son meilleur régal. Cet abbé nouvellement arrivé à Plassans lui semblait un excellent auditeur ; d’autant plus qu’il avait une vilaine mine, une mine d’homme bon à tout entendre, et qu’il portait une soutane vraiment trop usée pour que les confidences qu’on se permettrait avec lui pussent tirer à conséquence.

Au bout d’un quart d’heure, M. de Condamin s’était mis tout à l’aise. Il expliquait Plassans à l’abbé Faujas, avec sa grande politesse d’homme du monde.

— Vous êtes étranger parmi nous, monsieur l’abbé, disait-