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LES ROUGON-MACQUART.

— Ce cher Bourrette, disait-elle avec des cajoleries dans la voix, m’a conté le mal qu’il avait eu à vous décider… Je vous en garde rancune, monsieur. Vous n’avez pas le droit de vous dérober ainsi au monde.

Le prêtre s’inclinait sans répondre. La vieille dame continua en riant, avec une intention particulière dans certains mots :

— Je vous connais plus que vous ne croyez, malgré vos soins à nous cacher vos vertus. On m’a parlé de vous ; vous êtes un saint, et je veux être votre amie… Nous causerons de tout ceci, n’est-ce pas ? car maintenant vous êtes des nôtres.

L’abbé Faujas la regarda fixement, comme s’il avait reconnu dans la façon dont elle manœuvrait son éventail quelque signe maçonnique. Il répondit en baissant la voix :

— Madame, je suis à votre entière disposition.

— C’est bien ainsi que je l’entends, reprit-elle en riant plus haut. Vous verrez que nous voulons ici le bien de tout le monde… Mais venez, je vous présenterai à monsieur Rougon.

Elle traversa le salon, dérangea plusieurs personnes pour ouvrir un chemin à l’abbé Faujas, lui donna une importance qui acheva de mettre contre lui toutes les personnes présentes. Dans la pièce voisine, des tables de whist étaient dressées. Elle alla droit à son mari, qui jouait avec la mine grave d’un diplomate. Il fit un geste d’impatience, lorsqu’elle se pencha à son oreille ; mais, dès qu’elle lui eut dit quelques mots, il se leva avec vivacité.

— Très-bien ! très-bien ! murmura-t-il.

Et, s’étant excusé auprès de ses partenaires, il vint serrer la main de l’abbé Faujas. Rougon était alors un gros homme blême, de soixante-dix ans ; il avait pris une mine solennelle de millionnaire. On trouvait généralement, à Plassans, qu’il avait une belle tête, une tête blanche et muette