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LES ROUGON-MACQUART.

Et comme l’abbé se taisait toujours :

— Vous connaissez monsieur Rastoil, n’est-ce pas ? continua-t-il en se tournant vers lui. Tous les matins, il se promène sous ses arbres, de huit à neuf heures. Un gros homme, un peu court, chauve, sans barbe, la tête ronde comme une boule. Il a atteint la soixantaine dans les premiers jours d’août, je crois. Voilà près de vingt ans qu’il est président de notre tribunal civil. On le dit bonhomme. Moi, je ne le fréquente pas. Bonjour, bonsoir, et c’est tout.

Il s’arrêta, en voyant plusieurs personnes descendre le perron de la maison voisine et se diriger vers la rotonde.

— Eh ! mais, dit-il en baissant la voix, c’est mardi, aujourd’hui… On dîne, chez les Rastoil.

L’abbé n’avait pu retenir un léger mouvement. Il s’était penché, pour mieux voir. Deux prêtres, qui marchaient aux côtés de deux grandes filles, paraissaient particulièrement l’intéresser.

— Vous savez qui sont ces messieurs ? demanda Mouret.

Et, sur un geste vague de Faujas :

— Ils traversaient la rue Balande, au moment où nous nous sommes rencontrés… Le grand, le jeune, celui qui est entre les deux demoiselles Rastoil, est l’abbé Surin, le secrétaire de notre évêque. Un garçon bien aimable, dit-on. L’été, je le vois qui joue au volant, avec ces demoiselles… Le vieux, que vous apercevez un peu en arrière, est un de nos grands vicaires, monsieur l’abbé Fenil. C’est lui qui dirige le séminaire. Un terrible homme, plat et pointu comme un sabre. Je regrette qu’il ne se tourne pas ; vous verriez ses yeux… Il est surprenant que vous ne connaissiez pas ces messieurs.

— Je sors peu, répondit l’abbé ; je ne fréquente personne dans la ville.

— Et vous avez tort ! Vous devez vous ennuyer souvent…