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LES ROUGON-MACQUART.

Un autre soir, Octave ayant dit qu’il avait vu l’abbé Faujas entrer à Saint-Saturnin, son père lui demanda quelle tournure il avait, comment les passants le regardaient, ce qu’il devait aller faire à l’église.

— Ah ! vous être trop curieux, s’écria le jeune homme en riant… Il n’était pas beau au soleil, avec sa soutane toute rouge, voilà ce que je sais. J’ai même remarqué qu’il marchait le long des maisons, dans le filet d’ombre, où la soutane semblait plus noire. Allez, il n’a pas l’air fier, il baisse la tête, il trotte vite… Il y a deux filles qui se sont mises à rire, quand il a traversé la place. Lui, levant la tête, les a regardées avec beaucoup de douceur, n’est-ce pas, Serge ?

Serge raconta à son tour que plusieurs fois, en rentrant du collège, il avait accompagné de loin l’abbé Faujas, qui revenait de Saint-Saturnin. Il traversait les rues sans parler à personne ; il semblait ne pas connaître âme qui vive, et avoir quelque honte de la sourde moquerie qu’il sentait autour de lui.

— Mais on cause donc de lui dans la ville ? demanda Mouret, au comble de l’intérêt.

— Moi, personne ne m’a parlé de l’abbé, répondit Octave.

— Si, reprit Serge, on cause de lui. Le neveu de l’abbé Bourrette m’a dit qu’il n’était pas très-bien vu à l’église ; on n’aime pas ces prêtres qui viennent de loin. Puis, il a l’air si malheureux… Quand on sera habitué à lui, on le laissera tranquille, ce pauvre homme. Dans les premiers temps, il faut bien qu’on sache.

Alors, Marthe recommanda aux deux jeunes gens de ne pas répondre, si on les interrogeait au-dehors sur le compte de l’abbé.

— Ah ! ils peuvent répondre, s’écria Mouret. Ce n’est bien sûr pas ce que nous savons sur lui qui le compromettra.