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LES ROUGON-MACQUART.

Marthe s’était levée, réveillant Désirée, faisant mine de monter ; la curiosité de son mari la blessait. Celui-ci se décida enfin à se lever également ; tandis que la vieille Rose, qui était dévote, continuait d’une voix plus basse :

— Le pauvre cher homme devait avoir joliment faim… Sa mère lui passait les plus gros morceaux et le regardait avaler avec un plaisir… Enfin, il va dormir dans des draps bien blancs. À moins que l’odeur des fruits ne l’incommode. C’est que ça ne sent pas bon dans la chambre ; vous savez, cette odeur aigre des poires et des pommes. Et pas un meuble, rien que le lit dans un coin. Moi, j’aurais peur, je garderais la lumière toute la nuit.

Mouret avait pris son bougeoir. Il resta un instant debout devant Rose, résumant la soirée dans ce mot de bourgeois tiré de ses idées accoutumées :

— C’est extraordinaire.

Puis, il rejoignit sa femme au pied de l’escalier. Elle était couchée, elle dormait déjà, qu’il écoutait encore les bruits légers qui venaient de l’étage supérieur. La chambre de l’abbé était juste au-dessus de la sienne. Il l’entendit ouvrir doucement la fenêtre, ce qui l’intrigua beaucoup. Il leva la tête de l’oreiller, luttant désespérément contre le sommeil, voulant savoir combien de temps le prêtre resterait à la fenêtre. Mais le sommeil fut le plus fort ; Mouret ronflait à poings fermés, avant d’avoir pu saisir de nouveau le sourd grincement de l’espagnolette.

En haut, à la fenêtre, l’abbé Faujas, tête nue, regardait la nuit noire. Il demeura longtemps là, heureux d’être enfin seul, s’absorbant dans ces pensées qui lui mettaient tant de dureté au front. Sous lui, il sentait le sommeil tranquille de cette maison où il était depuis quelques heures, l’haleine pure des enfants, le souffle honnête de Marthe, la respiration grosse et régulière de Mouret. Et il y avait un mépris dans le redressement de son cou de lutteur, tandis qu’il le-