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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

— Ils sont arrivés par le train de six heures trois quarts. Ils n’ont donc eu que le temps de passer chez l’abbé Bourrette et de venir ici… Je parie qu’ils n’ont pas dîné. C’est clair. Nous les aurions bien vus sortir pour aller à l’hôtel… Ah ! par exemple, ça me ferait plaisir de savoir où ils ont pu manger.

Rose, depuis un instant, rôdait dans la salle à manger, attendant que ses maîtres allassent se coucher, pour fermer les portes et les fenêtres.

— Moi je le sais où ils ont mangé, dit-elle.

Et comme Mouret se tournait vivement :

— Oui, j’étais remontée pour voir s’ils ne manquaient de rien. N’entendant pas de bruit, je n’ai point osé frapper ; j’ai regardé par la serrure.

— Mais c’est mal, très-mal, interrompit Marthe sévèrement. Vous savez bien, Rose, que je n’aime point cela.

— Laisse donc, laisse donc ! s’écria Mouret, qui, dans d’autres circonstances, se serait emporté contre la curieuse. Vous avez regardé par la serrure ?

— Oui, monsieur, c’était pour le bien.

— Évidemment… Qu’est-ce qu’ils faisaient ?

— Eh bien ! donc, monsieur, ils mangeaient… Je les ai vus qui mangeaient sur le coin du lit de sangle. La vieille avait étalé une serviette. Chaque fois qu’ils se servaient du vin, ils recouchaient le litre bouché contre l’oreiller.

— Mais que mangeaient-ils ?

— Je ne sais pas au juste, monsieur. Ça m’a paru un reste de pâté, dans un journal. Ils avaient aussi des pommes, des petites pommes de rien du tout.

— Et ils causaient, n’est-ce pas ? Vous avez entendu ce qu’ils disaient ?

— Non, monsieur, ils ne causaient pas… Je suis restée un bon quart d’heure à les regarder. Ils ne disaient rien, pas ça, tenez ! Ils mangeaient, ils mangeaient !