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cru qu’il la renseignerait, grâce à ses relations d’agent de publicité. Peut-être n’a-t-elle roulé jusqu’à lui que par les lois mêmes de la chute, toujours de plus en plus bas. Il y a, dans la passion du jeu, un ferment désorganisateur que j’ai observé souvent, qui ronge et pourrit tout, qui fait de la créature de race la mieux élevée et la plus fière une loque humaine, le déchet balayé au ruisseau… En tout cas, si cette fripouille de Jantrou avait gardé sur le cœur les coups de pied au derrière que lui allongeait, dit-on, le père de la baronne, quand il allait jadis quémander ses ordres, il est bien vengé aujourd’hui ; car, moi qui vous parle, comme j’étais retourné au journal pour tâcher d’être payé, je suis tombé sur une explication en poussant trop vivement une porte, j’ai vu, de mes yeux vu, Jantrou giflant la Sandorff, à la volée… Oh ! cet homme ivre, perdu d’alcool et de vices, tapant avec une brutalité de cocher sur cette dame du monde ! 

D’un geste de souffrance, madame Caroline le fit taire. Il lui semblait que cet excès d’abaissement l’éclaboussait elle-même.

Très caressante, Marcelle lui avait pris la main, sur le point de partir.

— Ne croyez pas au moins, chère madame, que nous soyons venus pour vous ennuyer. Paul, au contraire, défend beaucoup monsieur Saccard.

— Mais certainement ! s’écria le jeune homme. Il a toujours été gentil avec moi. Je n’oublierai jamais la façon dont il nous a débarrassés du terrible Busch. Et puis, c’est tout de même un monsieur très fort… Quand vous le verrez, madame, dites-lui bien que le petit ménage lui garde une vive reconnaissance. 

Lorsque les Jordan furent partis madame Caroline eut un geste de muette colère. De la reconnaissance, pourquoi ? pour la ruine des Maugendre ! Ces Jordan étaient comme Dejoie, s’en allaient avec les mêmes paroles d’excuse et de bons souhaits. Et pourtant ils savaient, ceux-là ! ce n’était pas un ignorant, cet écrivain qui avait traversé le monde de la finance, plein d’un si