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— Alors, tant pis  ! déclara nettement Daigremont. Je ne veux être avec vous que si votre frère y est aussi… Vous entendez bien, je ne veux pas que vous soyez fâchés. 

D’un geste colère d’impatience, Saccard protesta. Est-ce qu’on avait besoin de Rougon ? est-ce que ce n’était pas aller chercher des chaînes, pour se lier pieds et mains ? Mais, en même temps, une voix de sagesse, plus forte que son irritation, lui disait qu’il fallait au moins s’assurer de la neutralité du grand homme. Cependant, il refusait brutalement.

— Non, non, il a toujours été trop cochon avec moi. Jamais je ne ferai le premier pas.

— Écoutez, reprit Daigremont j’attends Huret à cinq heures, pour une commission dont il s’est chargé… Vous allez courir au Corps législatif, vous prendrez Huret dans un coin, vous lui conterez votre affaire, il en parlera tout de suite à Rougon, il saura ce que ce dernier en pense, et nous aurons la réponse ici, à cinq heures… Hein ! rendez-vous à cinq heures ?  

La tête basse, Saccard réfléchissait.

— Mon Dieu ! si vous y tenez !

— Oh ! absolument ! sans Rougon, rien  ; avec Rougon, tout ce que vous voudrez.

— C’est bon, j’y vais. 

Il partait, après une vigoureuse poignée de main, lorsque que l’autre le rappela.

— Ah ! dites donc, si vous sentez que les choses s’emmanchent, passez donc, en revenant, chez le marquis de Bohain et chez Sédille, faites-leur savoir que j’en suis et demandez-leur d’en être… Je veux qu’ils en soient  !  

À la porte, Saccard retrouva son fiacre, qu’il avait gardé, bien qu’il n’eût qu’à descendre le bout de la rue, pour être chez lui. Il le renvoya, comptant qu’il pourrait faire atteler, l’après-midi  ; et il rentra vivement déjeuner. On ne l’attendait plus, ce fut la cuisinière qui lui servit elle-même un morceau de viande froide, qu’il dévora, tout en se querellant avec le cocher  ; car, celui-ci, qu’il