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qui nous est offerte comme aliment quotidien ; mais quelle puissance d’illusion commence en nous avec la vie, et nous accompagne jusqu’à la fin ! Nous sommes cajolés, flattés, et dupés du matin au soir, de la naissance à la mort ; et où est l’œil âgé qui a jamais percé la déception ? Les Hindous représentent Maya, l’énergie illusoire de Vishnou, comme un de ses principaux attributs. Il semble que dans ce tourbillon d’éléments en lutte qu’est l’existence, il ait été nécessaire de lier les âmes à la vie humaine comme les mariniers durant la tempête s’attachent aux mâts et aux parapets du navire, et que la Nature ait employé certaines illusions en guise de liens ou de courroies — un hochet, une poupée, une parure pour l’enfant ; des patins, une rivière, un bateau, un cheval, un fusil, pour le garçon qui grandit — et je ne veux pas commencer à énumérer celles du jeune homme et de l’adulte, car elles sont innombrables. Rarement et lentement le masque tombe, et le disciple est autorisé à voir que tout est fait de la même substance, façonnée et peinte sous nombre d’apparences irréelles. La doctrine de Hume, c’est que les circonstances varient, mais que la source du bonheur reste la même ; que le mendiant tuant ses puces au soleil sous une haie, le duc roulant dans son carrosse, la jeune fille habillée pour son premier bal, et l’orateur, revenant triomphant des débats, ont des sources de plaisir différentes, mais la même quantité d’émotion agréable.

Cet élément d’illusion prête toute sa force pour dissimuler la valeur du temps présent. Quel est celui qui ne se surprend pas toujours faisant quelque chose d’inférieur à sa meilleure tâche ? « Que faites-vous ? » « Oh, rien ; j’ai fait ceci, je ferai cela ou cela, mais en