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grosse toile tissée avec ce fil, n’était pas très sûr que ce métier de tisserand, tout indispensable qu’il était, pût s’exercer entièrement sans le secours de l’esprit malin. À cette époque reculée, la superstition s’attachait facilement à tout individu ou à tout fait tant soit peu étrange. Et pour qu’une chose parût telle, il suffisait même qu’elle revînt périodiquement ou accidentellement, comme les visites du colporteur ou du rémouleur. Personne ne savait où demeuraient ces hommes errants, ni de qui ils descendaient ; et comment pouvait-on dire ce qu’ils étaient, à moins de connaître quelqu’un qui connût leur père et leur mère ? Pour les paysans du temps jadis, le monde, au delà de l’horizon de leur expérience personnelle, était une région vague et mystérieuse. Pour leur pensée restée stationnaire, une vie nomade était une conception aussi obscure que l’existence, pendant l’hiver, des hirondelles qui revenaient avec le printemps. Même l’étranger fixé définitivement parmi eux, s’il était venu d’une région éloignée, ne cessait presque jamais d’être regardé avec un reste de défiance. Cette circonstance eût empêché les gens d’être le moins du monde étonnés, dans le cas où il aurait commis un crime après de longues années d’une conduite inoffensive, — particulièrement s’il avait quelque réputation d’être savant, ou s’il montrait une certaine habileté dans un métier. Tout talent, soit dans l’usage rapide de cet instrument difficile, la langue, soit dans quelque autre art peu familier