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les exigences de la faim, et Silas, dans sa solitude, avait à se procurer son déjeuner, son dîner et son souper, à aller chercher de l’eau au puits, et à mettre la bouilloire sur le feu. Tous ces besoins urgents contribuaient, avec son travail au métier, à restreindre sa vie à l’activité aveugle d’un insecte fileur. Il haïssait l’idée du passé ; il n’y avait rien qui le poussât à aimer les étrangers au milieu desquels il était venu, ou à s’associer avec eux ; et l’avenir n’était que ténèbres, car aucun amour invisible ne songeait à lui. Ses pensées étaient arrêtées par une perplexité complète, maintenant que leur voie étroite d’autrefois était fermée, et ses affections semblaient avoir été anéanties sous le coup qui, avait meurtri ses fibres les plus sensibles.

Enfin, cependant, le linge de table de Mme Osgood fut terminé, et Silas reçut de l’or en payement. Son gain, dans sa ville natale, où il travaillait pour un marchand en gros, était calculé d’après un taux moins élevé qu’à Raveloe : on le payait toutes les semaines, et une grande partie de ce salaire hebdomadaire passait en œuvres de piété et de charité. Aujourd’hui, pour la première fois de sa vie, on lui avait mis cinq belles guinées[1]dans la main ; personne ne s’attendait à les partager avec lui, et il n’aimait assez aucun homme, pour lui en offrir une part. Mais quelle valeur avaient les guinées aux yeux de Marner, qui ne voyait

  1. La valeur nominale de la guinée est de 26 fr. 25. On ne fait plus de guinées aujourd’hui, en Angleterre. (N. du Tr.)