Page:Eekhoud - La nouvelle Carthage.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
153
LA NOUVELLE CARTHAGE

minute… Justement j’allais vous prier de passer ce soir chez moi… Si je vous parlais de cette nouvelle affaire, c’est parce qu’elle se rattache étroitement à celle que nous avons terminée ; — si étroitement, que nous pourrions les combiner, je dirai même les fusionner…

— Pardon ! interrompit l’autre, il ne s’agit pas de tout cela. En voilà assez de vos combinaisons continues. Avant de m’embarquer avec vous dans d’autres entreprises, je désire connaître enfin la couleur de votre argent…

— Monsieur Vlarding ! fit Dupoissy, jouant l’homme irréprochable outragé dans ses sentiments. Monsieur Vlarding, mon bon ami !

— Ta ta ta ! Il n’y a pas de Vlarding et de bon ami qui tiennent ! Vous allez me payer recta deux mille francs en échange du reçu que voici…

— Mais, mon vieil ami, pareils procédés de votre part, après tant d’années de mutuelle confiance…

— Trêve de protestations ! Je ne vous dis que ce mot : pagare, pagare !

— Lorsque je vous répète que je n’ai pas cet argent sur moi ! gémit Dupoissy à voix basse, et, en pressant le bras de son interlocuteur :

— De grâce, calmez-vous… On nous écoute !

On commençait, en effet, à faire cercle autour d’eux. À l’ordinaire badauderie se joignait une curiosité maligne, l’attente d’une bagarre.

Mais plus Dupoissy essayait d’amadouer Vlarding, plus celui-ci criait :

— Pour la dernière fois, Monsieur Dupoissy, êtes-vous disposé à me solder les deux mille francs ?

— Quand je les aurai ! laissa échapper le malheureux Dupoissy, perdant décidément la tramontane.

Vlarding bondit comme un chien flâtré.

— Comment dites-vous cela ? cria-t-il dans le visage du débiteur insolvable.

D’autres dupes faisaient chorus, à présent, avec Vlarding. C’était à qui réclamerait son dû.

— Payera ! Payera pas ! chantait la galerie, sur l’air des lampions, en se trémoussant, en trépignant de joie féroce.

— Messieurs, mes bons Messieurs, laissez-moi sortir, je vous en conjure !… Je suis citoyen français, Messieurs, j’en appelle au consul de mon pays… Messieurs, c’est une indignité…

— As-tu fini ? goguenardaient les jeunes Saint-Fardier. Haro sur le Français ! Haro sur l’homme de Sedan ! Ferme ta cassolette ! À la porte Badinguet !