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d’une fumée inoffensive. En l’absence de toute brigade, les étudiants s’étaient spontanément chargés de la police, et ils s’en acquittaient avec cette conviction que les jeunes gens apportent à l’exercice d’une autorité provisoire. Ils firent évacuer les abords, ne permettant qu’aux leurs de pénétrer dans les corps de bâtiments. On en vit rôder à travers l’immeuble, en quête de choses qu’ils ne spécifiaient à personne : on peut supposer qu’ils cherchaient un flacon oublié, quelque vestige du grand secret, la fortune…

Pas un de ces efforts ne fut récompensé : la formule d’Auguérand demeura introuvable comme sa personne.

On se le répétait dans la rue et dans l’univers. Déjà Paris en éprouvait une vague tristesse : on ne la confessait pas tout haut, très peu de gens l’eussent osé, les journaux n’en firent aucune mention ; mais il n’était pas besoin de l’exprimer pour la sentir. Tous ceux qui pensent estimaient que sans nul doute on s’était trop hâté ; ils en accusaient la panique. Ils se couchèrent sur cette idée le soir, et le 27 au matin Paris eut la notion fort nette d’avoir vécu la veille une journée de folie.

Les services publics reprirent leur fonctionnement normal comme si rien ne s’était passé. Mais, en dépit de cette réserve affectée, les sentiments que le monde avait hier professés contre nous se propageaient chez nous contre les fauteurs du vandalisme. Les curieux qui, ce jour-là, dirigèrent leur promenade vers Neuilly furent presque aussi nombreux que les manifestants de la veille. Leurs rangs défilaient au pas sur l’avenue avec de longs regards vers les grilles tordues, les jardins dévastés, les pans de murs roussis, qu’on se désignait à voix basse. Jusqu’au soir, le défilé continua révérencieusement, à cette allure d’obsèques. Durant la semaine qui suivit, les ruines de la villa furent le but d’un pèlerinage incessant ; on s’y rendait de très loin ; quelques villes envoyèrent des couronnes ; le deuil s’affirma, l’opinion s’assit. La découverte d’Auguérand devenait inestimable du moment qu’on l’avait perdue.

Pendant assez longtemps la disparition du docteur prêta aux commentaires : nul ne l’avait vu, excepté Thismonard, qui n’était plus là pour rien dire, et sa déclaration, d’ailleurs, n’eût certes pas éclairé le mystère. L’Action directe revendiquait l’honneur d’avoir « mis le feu au capharnaüm », mais non d’avoir frappé l’inventeur. Généralement, on le croyait mort, mais quelques-uns le prétendaient vivant ; certains même affirmaient qu’une ambassade l’avait fait enlever dans un carvol de louage. Ne se cachait-il pas, en Allemagne ou ailleurs ? N’allait-il pas reparaître un jour ? Plusieurs en conservaient l’espoir, mais ils vieillirent dans leur attente.

Du moins, une certitude restait acquise : la vie humaine peut être prolongée.

Ce qui fut trouvé une fois sera trouvé encore.

Partout, on se mit à chercher.

EDMOND HARAUCOURT