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Celle-ci, avant de rentrer chez elle, était passée au bureau du Nouvelliste de Château-du-Lac. Elle avait convoqué le rédacteur en chef de l’organe conservateur pour qu’il assistât, lui aussi, au scandale.

Après quoi, satisfaite d’elle-même, elle avait regagné sa demeure.

Sitôt rentrée, elle s’enferma dans sa chambre.

Si quelqu’un avait pu alors coller son œil à la serrure, il eut été bien surpris de voir et surtout d’entendre la comtesse.

Contrairement à son habitude, elle ne s’était pas jetée sur un prie-dieu pour demander à la Sainte-Vierge de couronner le succès de son entreprise.

Elle avait rageusement enlevé son chapeau et son manteau qu’elle avait lancés sur un canapé.

Puis, dans un état de folle exaltation, elle s’était précipitée sur son lit, mordant les oreillers pour étouffer sa voix, afin qu’on ne l’entendit pas murmurer :

— Ah ! le bandit ! le misérable !… Le lâche ! Il ne veut pas la quitter, sa fiancée !… Il ne le veut pas !… Mais il ne se jouera pas de moi comme il le croit… Ce serait trop bête !…

Sa colère passée, et redevenue maîtresse d’elle-même, la comtesse se leva ; elle avait retrouvé tout son calme, c’était de nouveau la grande dame.

Elle partit cependant d’un grand éclat de rire qui jurait avec son habituelle réserve :

— Ah ! monsieur Edgard Dumoulin, dit-elle, vous vous croyez bien fort, mais je le suis plus que vous ! Ah ! si vous connaissiez entièrement le fond des choses, vous auriez trop beau jeu… Mais, voilà, vous l’ignorez… Et c’est très heureux… Allons ! Je vous apprendrai qu’on ne se moque pas impunément d’une La Roche-Pelée née de Puyprofonds.

Si la rage de la comtesse était grande, celle d’Éléonore ne l’était pas moins. La jolie fille était furieuse de ne pas avoir encore décidé son ami à quitter Château-du-Lac en sa compagnie ; et naturellement sa jalousie contre la pauvre Agnès en était encore augmentée.

Le même soir du jour où la comtesse avait rendu visite au docteur, il y eut à l’hôtel du Vieux Castel une grande scène de violence au cours de laquelle Éléonore exprimait à sa camériste Emma toute son indignation :

— Crois-tu, disait-elle, ce salaud-là qui n’a pas encore brisé avec sa petite oie blanche !… au contraire !… Monsieur veut me rouler !… Ah ! mais, s’il se figure qu’il va me mener en bateau longtemps comme ça, il ne m’a pas regardée !…

— Madame a tort de se fâcher !… Elle n’a plus que deux jours à attendre !

— Deux jours, oui, deux jours !… Après, gare la casse.