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La belle passionnée, d’ailleurs, faisait de longues absences ; on restait parfois des semaines sans la voir et pendant ce temps son appartement était laissé à la garde d’une camériste dévouée, qui connaissait peut-être le mystère de son existence, mais ne le révélait à personne.

Même aux heures d’ivresse, même aux moments d’abandon, elle n’avait jamais laissé échapper son secret.

Et puis, à vrai dire, on ne s’en préoccupait guère. Elle était de bonne compagnie, toujours de joyeuse humeur. Les femmes la trouvaient constamment prête à leur rendre service aux moments difficiles. Quant aux hommes, nul n’avait pu se ruiner pour elle, car elle avait refusé des fortunes.

Pour le moment, le béguin d’Éléonore, l’heureux mortel qui goûtait l’ivresse tant enviée de serrer ce beau corps dans ses bras, était un jeune attaché au cabinet du ministre de l’Intérieur, Edgard Dumoulin.

Ce jour-là donc, Éléonore, au bras d’Edgard, et ses trois amies, accompagnées de leurs amants de cœur, venaient de dîner à Montmartre.

Il n’était guère que dix heures et demie du soir et naturellement, hommes et femmes ne se posaient qu’une question ; où allait-on achever la soirée ?

Colette proposa :

— Si on allait à la fête de Neuilly.

— Oui, c’est cela, cria Éléonore en battant des mains comme une petite folle, allons à la fête à Neu-Neu. On montera sur les cochons ! Ça nous changera de voir les cochons monter sur nous !

Avant que personne ait répondu, elle avait hélé un taxi qui passait :

— À Neuilly ! ordonna-t-elle au chauffeur.

Et toute la bande s’engouffra dans le taxi, les femmes sur les genoux des hommes.

L’horloge pneumatique de la gare de la Porte Maillot marquait onze heures précises lorsque les quatre jeunes hommes et leurs petites amies franchirent la barrière.

Une foule énorme emplissait l’avenue de Neuilly et ce ne fut pas sans écraser nombre de pieds que la joyeuse bande parvint jusqu’au manège de cochons de bois rutilant de lumières et dont l’« harmonie » jouait précisément l’air bien connu d’Éléonore.

— Bah ! C’est en mon honneur ! s’écria l’amie d’Edgard.

Entraînant le jeune attaché, elle le jucha de force sur un animal tandis qu’elle s’installait à califourchon sur la tête du cochon rose.