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frondeur et sceptique de parti pris, qui mène rapidement à toutes les décrépitudes morales.

Il savait donc encore voir par lui-même, et s’abandonner sincèrement à ses propres impressions.

Sur l’Algérie, il ne savait que l’admirable épopée de la conquête et de la défense, l’héroïsme sans cesse déployé de part et d’autre pendant trente années.

Cependant, intelligent, peu expansif, il était déjà porté à analyser ses sensations, à classifier en quelque sorte, ses pensées.

Ainsi, le dimanche suivant, quand il se vit reprendre le chemin de Timgad, eut-il la sensation très nette qu’il n’y allait que pour revoir la petite Bédouine.

Encore très pur et très noble, il n’essayait point de truquer avec sa conscience. Il s’avouait parfaitement qu’il n’avait pu résister à l’envie d’acheter des bonbons, dans l’intention de lier connaissance avec cette petite fille, dont la grâce étrange le captivait si invinciblement et à laquelle, toute la semaine durant, il n’avait fait que penser.

… Et maintenant, parti dès l’aube par la belle route de Lambèse, il pressait son cheval, pris d’une impatience qui l’étonnait lui-même… Ce n’était en somme que le vide de son cœur à peine sorti des limbes enchantés de l’adolescence, sa vie solitaire loin du pays natal, la presque virginité de sa pensée que les débauches de Paris