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Et Yasmina s’en revenait en chantant une complainte saharienne, apprise de son frère Slimène qui était venu en congé un an auparavant, et qu’elle aimait beaucoup :

Jeune fille de Constantine, qu’es-tu venue faire ici, toi qui n’es point de mon pays, toi qui n’es point faite pour vivre dans la dune aveuglante…

Jeune fille de Constantine, tu es venue et tu as pris mon cœur, et tu l’emporteras dans ton pays… Tu as juré de revenir, par le Nom très haut… Mais quand tu reviendras au pays des palmes, quand tu reviendras à El Oued, tu ne me retrouveras plus dans la demeure des pleurs*.… Cherche-moi dans la demeure de l’Éternité… Sois-y la bienvenue… etc.

Et doucement, la chanson plaintive s’envolait dans l’espace illimité… Et doucement, le prestigieux soleil s’éteignait dans la plaine…

Elle était bien calme, la petite âme solitaire et naïve de Yasmina… Calme et douce comme ces petits lacs purs que les pluies laissent au printemps pour un instant dans les éphémères prairies africaines, — et où rien ne se reflète, sauf l’azur infini du ciel sans nuages…

Quand Yasmina rentra, sa mère lui annonça qu’on allait la marier à Mohammed Elaour, cafetier à Batna.

D’abord, Yasmina pleura, parce que Mohammed était borgne et très laid et parce que c’était si subit et si imprévu, ce mariage.