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à ses interrogations le tirailleur interprète, Jacques examina ses malades, pitoyable devant toute cette misère, toute cette souffrance qu’il devait adoucir. La visite fut longue… Il remarqua l’étonnement ironique du caporal… Le tirailleur était impassible.

Cependant, malgré l’attitude nouvelle pour eux de ce docteur, les indigènes ne s’ouvrirent pas, n’allèrent pas au-devant de lui. Des siècles de méfiance et d’asservissement étaient entre eux.

Et, en s’en allant, Jacques sentit bien que la besogne dont il voulait être l’humble ouvrier était immense, écrasante… Mais il ne se laissa pas décourager : si tous les bras retombaient impuissants, devant l’œuvre à accomplir, si personne ne donnait le bon exemple, le mal triompherait toujours, incurable. Et puis Jacques croyait en la force vive de la vérité, en la bonne vertu rédemptrice du travail.

Au quartier, à l’hôpital, il rencontra les mêmes faces fermées et dures, semblables à celle de son ordonnance, roidie, sortie de l’humanité. La pauvreté de leur vie, sans même une façade, le frappa : le service machinal, un petit nombre de mouvements et de gestes toujours les mêmes à répéter indéfiniment, par crainte d’abord, puis par habitude. En dehors de cela, de la vie réelle, personnelle, on leur avait laissé deux choses : l’abrutissement de l’alcool et la jouissance immédiate, à bon marché, à la maison publique. Là, dans ce