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entouré d’une petite clôture en épines. J’attendis le lever de la lune, puis, je m’avançai. Pour apaiser les chiens, j’avais apporté les entrailles d’un mouton qu’on avait tué dans la journée. À la lueur de la lune, j’aperçus Ahmed, couché devant son gourbi, pour garder ses moutons. Son fusil était posé sous sa tête. Son sommeil était profond. Je ceignis ma gandoura de mon mouchoir, pour n’accrocher à rien. J’entrai dans l’enclos. Mes jambes étaient faibles et une chaleur terrible brûlait mon corps. J’hésitais, songeant au danger… Mais c’était écrit, et les chiens, repus, grondèrent. Alors, je saisis le fusil d’Ahmed, le retirai brusquement de dessous sa tête et le lui déchargeai à bout portant dans la poitrine. Puis, je m’enfuis. Les hommes et les chiens du douar me poursuivirent, mais ne m’atteignirent pas. Alors, je commis une faute : personne ne m’avait vu et j’eusse dû rentrer chez mon père. Mais la crainte de la justice des chrétiens me fit fuir dans le maquis, sur les coteaux. Pendant trois jours et trois nuits, je me cachai dans les ravins, me nourrissant de figues de Barbarie. J’avais peur. La nuit, je n’osais dormir. Le moindre bruit, le souffle du vent dans les buissons me faisaient trembler. Le troisième jour, les gendarmes m’arrêtèrent. L’histoire de la jument et mon départ avaient tout révélé et, malgré que je n’aie jamais avoué, je fus condamné.

Les juges m’ont fait grâce de la vie, parce que j’étais jeune. Pendant trois mois, je suis resté dans