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— Écoute, dit-il. Tu as été élevé dans les villes, et tu ne sais pas… Moi, je suis du douar des Ouled-Ali, dépendant de Sétif. Nous sommes tous bergers, chez nous. Nous avons beaucoup de troupeaux, et aussi des chevaux. À part ça, nous avons des champs que nous ensemençons d’orge et de blé. Mon père est vieux et je suis son fils unique. Parmi notre troupeau, il y avait une belle jument grise, qui n’avait pas encore les dents de la quatrième année. Mon père me disait toujours : « Amara, cette jument est pour toi. » Je l’avais appelée « Mabrouka », et je la montais souvent. Elle était rapide comme le vent, et méchante comme une panthère. Quand on la montait, elle bondissait et hennissait entraînant tous les étalons du pays. Un jour, ma jument disparut. Je la cherchai pendant une semaine et je finis par apprendre que c’était un berger des Ouled-Hassène, nos voisins du nord, qui me l’avait prise. Je me plaignis à notre Cheikh et je lui portai en présent un mézouïd de beurre pour qu’il me fasse justice.

Apprenant que les gens du mahzen allaient venir chercher la jument, Ahmed, le voleur, ne pouvant la vendre, car elle était connue, la mena dans un ravin et l’égorgea. Quand j’appris la mort de ma jument, je pleurai. Puis, je jurai de me venger.

Une nuit obscure, je quittai furtivement notre douar, et j’allai chez les Ouled-Hassène. Le gourbi d’Ahmed mon ennemi était un peu isolé, et