Page:Eberhardt - Contes et paysages, 1925.pdf/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semblait, lui aussi, dormir, dans la lumière vaguement rosée de la lune décroissante.

Il faisait tiède. Un parfum indéfinissable venait de terre, grisant.

Oh, ces heures joyeuses, ces heures enivrantes des retours en Afrique, après les exils lointains et mornes !

J’avais résolu d’attendre à bord le lever du jour, pour poursuivre mon voyage sur Constantine, où je devais, pour la forme, assister au jugement de l’homme qui, six mois auparavant, avait tenté de m’assassiner, là-bas, dans le Souf lointain.

… Et j’avais étendu mes couvertures sur le pont, à bâbord, du côté de l’eau qui bruissait à peine.

Je m’étais étendue, en un bien-être profond, presque voluptueux. Mais le sommeil ne venait pas.

Le libéré conditionnel qui, lui aussi, passait la nuit à bord, vint me rejoindre. Il s’assit près de moi.

— Dieu te garde et te protège de la prison, toi et tous les musulmans, me dit-il, après un long silence.

— Raconte-moi ton histoire.

— Dieu soit loué, car je pensais que je mourrais là-bas… Il y a un cimetière où l’on met les nôtres et plusieurs qui sont venus devant moi y sont morts… Ils n’ont pas même un tombeau en terre musulmane.

— Mais comment, si jeune, as-tu pu tuer, et pourquoi ?