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LES DEUX TESTAMENTS

Arrivé à New York, il descendit du train tout machinalement et se dirigea à pieds vers sa demeure.

Le temps était sombre et gris ; une pluie fine et douce ruisselait sur les trottoirs. Les gouttes d’eau coulaient comme des larmes sur les joues du vieillard ; mais il ne les sentait pas. Un ami qui le rencontra le salua, mais il ne le vit même pas.

Enfin, il arriva à sa demeure.

Un long crêpe noir s’y balançait au vent.

Mais cette vue ne le fit pas sortir de sa torpeur. Au contraire, cela semblait une partie de son rêve.

Il monta lentement l’escalier et ouvrit la porte de son appartement.

Ses enfants, qui l’attendaient d’un instant à l’autre, se jetèrent dans ses bras en pleurant. Mais sans leur parler, il s’échappa de leur étreinte et se dirigea vers la chambre. où l’instinct lui disait qu’il trouverait celle qu’il cherchait.

Elle était là, pâle et froide, cette compagne de sa vie, celle qu’il avait le plus aimée au monde.

Ses beaux traits, dont les années n’avaient pu altérer la beauté, étaient calmes et doux.

Sa bouche, entr’ouverte, semblait sourire.

Mais ses yeux, fermés par la mort, ne devaient plus s’ouvrir pour regarder celui qu’elle avait tant aimé. Ses mains froides, croisées sur sa poitrine, ne devaient plus répondre à la pression de celles de son époux.

La voix douce qui avait tant de fois réjoui son oreille et qui lui avait murmuré tant de paroles de consolation dans les tristesses de l’existence ne devait plus se faire entendre.

Il s’agenouilla près du lit et appuya son front brûlant sur la poitrine froide et immobile de la morte.

Après quelques instants, ses enfants, plus effrayés de son silence et de son calme terrible qu’ils ne l’auraient été d’une douleur plus bruyante, s’approchèrent de lui et lui parlèrent tour à tour, essayant par tous les moyens possibles de le tirer de cet état alarmant.

Enfin, son fils aîné, terrifié par son immobilité, souleva doucement sa tête qui reposait toujours sur la poitrine de l’épouse morte.

Un cri terrible s’échappa de sa poitrine.

Son père était mort !

Les deux époux qui s’étaient tant aimés dans la vie ne devaient pas être séparés dans la mort !