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LES DEUX TESTAMENTS

en étaient venues à ce point que la veuve n’avaient jamais un sou à sa disposition, et qu’il lui fallait demander tout ce dont elle sentait le besoin, à son gendre, qui semblait toujours prêt à l’accuser d’extravagance, elle qui avait toujours été si économe, pourtant.

Enfin, il agissait en maître dans la maison. Lui seul s’occupait des affaires des autres maisons, percevait les loyers, faisait ou ne faisait pas de réparations, selon son goût, et sous un prétexte ou sous un autre, trouvait moyen d’empocher tout l’argent qu’il recevait des locataires, sans en rendre aucun compte à la veuve.

La pauvre femme devenait de plus en plus alarmée et pleurait souvent, surtout quand elle songeait à l’avenir de son petit-fils. Mais elle n’avait plus la force morale nécessaire pour s’affranchir du joug de son gendre.

Son esprit, jamais bien profond, devenait moins ferme à mesure qu’elle vieillissait.

Elle commençait à comprendre sa triste situation, mais elle n’y voyait et n’y supposait pas de remède, d’autant plus qu’avant l’arrivée de Charles LeCompte, son vieil ami, elle n’avait personne à qui elle pût demander conseil.

Tous ces détails étonnèrent et indignèrent profondément le bon vieillard qui ne pouvait comprendre cet excès de hardiesse perverse, surtout de la part d’un homme qui avait l’air si honnête et si religieux.

Lors de sa première visite à la veuve, il avait cru comprendre que Mde Champagne avait signé un acte de donation en faveur de son gendre et il en avait été bien désolé.

Mais après qu’elle lui eut expliqué les affaires avec plus de clarté et de précision, et qu’elle lui eut parlé du testament, il reprit courage et se mit en devoir de songer à ce qu’il pourrait faire pour la tirer d’embarras.

Il s’agissait d’abord de faire un autre testament, et cela au plus tôt, crainte de malheur.

Ensuite, il faudrait tâcher d’inspirer à la veuve assez de fermeté et de courage pour qu’elle se décidât à signifier à son gendre que sa présence chez elle n’était plus nécessaire.

C’était là, le plus difficile, car Edmond Bernier avait, peu-à-peu, pris un tel ascendant sur la pauvre femme, qu’elle n’osait jamais lui adresser la parole la première, le traitant en tout point comme un être supérieur.

Cependant le temps passait, et le bon vieillard qui avait terminé